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05/04/2024
Danièle Faugeras
Blog PO&PSY

Nanao Sakaki, un beat japonais

Nanao SAKAKI (1923-2008), qui se définissait lui-même comme un "anarchiste anthropologique" a vécu une vie errante mais pleine de résolution - y compris l'appel à la fois au militantisme environnemental et à la poésie -, révélant la considérable sûreté qui était la sienne quant à la direction que sa propre vie devait prendre.

 

Né en 1923 à Kagoshima, dans l'île de Kyushu, au sud du Japon, dans une famille nombreuse (Nanao signifie : "le neuvième"), il quitte l'école à douze ans, puis travaille dans un bureau.

 

Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, il est spécialiste d'un radar de la marine (il rencontrait à ce titre les jeunes kamikaze sur le départ - cf. le poème "infini ciel bleu"). Le 9 août 1945, il suit sur son écran l’avion B-29 qui, quelques minutes plus tard, larguera une bombe atomique sur Nagasaki.

 

Ses lectures autodidactes de Nietzsche, Schopenhauer, Marx et Engels, conjuguées au souvenir de ses amis tués pendant la guerre et au chômage, aux paysages bombardés, à la pénurie alimentaire du Japon de la fin de la guerre, le propulsèrent vers la gauche.

 

Après avoir d’abord travaillé dans une aciérie, puis comme secrétaire d’une petite maison d’édition, il adopte dès 1947 une vie d’errance, vagabondant dans le quartier Shinjuku à Tokyo, en compagnie d’artistes et de marginaux.

Il commence à écrire de la poésie, à peindre et à dessiner.

 

Avec quelques amis, il crée un « groupe contre-culturel pour une société libre de matérialisme », connu sous le nom de Harijan, puis, en 1965, il fonde Buzoku - ou The Tribe - un groupe communautaire opposé à l’industrialisation.

En 1967, avec Gary Snyder (rencontré en 1963 à Kyoto, alors qu'il voyageait au Japon avec Allen Ginsberg) et des vétérans de la guerre, il fonde le Banyan Ashram sur l’île quasi désertée de Suwanose-Jima, dans l’archipel Ryûkyû, au sud du Japon.

 

Sa route de Beat-beatnik le mènera, au-delà du Japon, au Nouveau Mexique, au sud-ouest des États Unis (il vivra dans un vieux bus à Taos dans les années 1980), dans l'Arizona, les Rocheuses, le Grand Canyon et le Rio Grande, particulièrement sur les territoires Hopi, Navajo et Pueblo. Plus tard, il alla jusqu'en Alaska, en Colombie britannique et aux Cascades de l'État de Washington, dans le Maine et à Terre-Neuve, ainsi qu'au Mexique. En Europe, aussi, à Amsterdam et Prague, Paris et Londres. En Australie, il parcourut l'arrière-pays aborigène, tout de suite fasciné par les arts de survie des bushmen : chasse, langage, masques et peintures traditionnelles.

Les géographies d'Asie s'étendirent pour lui jusqu'aux plaines de Mongolie, aux gorges de Chine, à la Sibérie orientale, au port taïwanais de Chi Lung, à Pusan en Corée et à l'Indonésie. Difficile de douter que Sasaki fût "transnational" !

 

Bien qu'on lui ait facilement attribué le qualificatif de Beat, Sakaki a toujours fait preuve d'une largeur d'appétit, à la fois clairement japonaise et mondiale.

 

Peu de personnages, dans sa formation littéraire et artistique ont joué un plus grand rôle formateur que Kobayashi Issa (1763-1828) dont il traduisit les haïkus avec un grand soin et dans un anglais manuscrit reproduit dans Inch by inch": 45 haïku by Issa. Les sources d'inspiration haïkistes pour Sakaki incluaient aussi le virtuose Matsuo Basho (1644-1694) et le poète et peintre de l'ére Edo Yosa Buson (1716-1783). Sakaki a également pris pleinement connaissance d'une lignée antécédente de poètes-outsiders, dont le moine et voyageur Saigyo Hoshi (1118-1190), le vagabond et praticien zen et futur abbé Ikkyu, et l'humble "grand fou" ermite zen, calligraphe et écrivain Taigu Ryokan (1758-1831). Chacun d'entre eux témoigne de la qualité de l'idiome japonais, à la fois concentré et facilement accessible et visuel.

 

Il s'est également toujours empressé de reconnaître qu'il était l'héritier de la secte bouddhiste de la Terre pure de sa famille, d'où son engagement en faveur des forêts et de l'eau potable, la philosophie et l'art taoïstes chinois, les mantras et vedas sanscrits indiens, le zen.

 

La calligraphie et le dessin sino-japonais ont exercé une attraction tout au long de sa vie. Il mentionne fréquemment l'impact du poète-yogi thibétain Milarepa (1052-1135), dont il appréciait l'accent mis sur le dharma et la tranquillité, et il publia une traduction de quatre pages de son œuvre en japonais en 1965. Si l'on prend en compte que les intérêts de Sakaki pour les formes d'art incluaient non seulement le haïku, la poésie de dix-sept syllabes de  l'image et de la perception concentrées, mais aussi le kabuki, le théâtre japonais vivant, et l'ukiyo-e de l'ère Edo (1603-1867) à l'ère Meiji (1868-1912) - la peinture sur bois dite du "monde flottant" -, et sa prédilection pour la poursuite de la tradition japonaise de la montagne, du désert et des îles comme objet de contemplation et de pérégrination, son héritage expressif japonais et asiatique est indéniable, même s'il fusionne avec et se superpose à celui de Beat.

Tous ces éléments amènent à voir dans sa personne une fusion de poète-zen japonais, de sommité Beat et de voix trans-mondiale.

 

A. Robert Lee, "Un Beat japonais : Nanao SAKAKI" (extraits)

in The Transnational Beat Generation.

 

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Une vision de Nanao

 

            J'ai eu une vision.

            Je suis né dans un village rural très pauvre. À l'époque, il y avait une grande différence entre les riches propriétaires terriens et les paysans.

            Le propriétaire foncier possédait une grande terre, une rizière, et le paysan ne faisait qu'emprunter l'espace et travaillait dur, et plus de la moitié du riz allait au propriétaire foncier et le paysan devait payer l'impôt avec du riz. Ils ne pouvaient garder que très peu de riz pour manger. Ils n'avaient pas d'argent pour aller à l'école. L'éducation était réservée aux propriétaires terriens. J'ai grandi dans une telle société.

            Ma famille appartenait à la secte de la Terre pure. La secte de la Terre pure est composée principalement de pauvres. La Terre Pure dit : " dans cette vie, vous êtes pauvre, vous avez une vie très triste, mais dans la prochaine vie, vous pouvez être... ". Ma famille était ainsi.

            Dès l'enfance, j'ai regardé la société... Elle avait besoin d'être changée. Dans quelle direction ? Lentement, je me suis construit, par exemple en lisant J.J. Rousseau à 17 ans. Et d'un autre côté Karl Marx, et Morgan. J'ai lentement construit ma propre image.

            Et puis un bon choc : la guerre. J'étais dans la marine japonaise, sur une base aérienne. Je faisais partir des pilotes kamikazes. Imaginez comment vous vous sentez en sachant que des amis vont mourir. C'est n'importe quoi ! À l'époque, je le savais déjà. Ça n'a aucun sens. C'est juste du gaspillage de vie. Mon père est venu me voir à la base navale. Il m'a dit à l'oreille : "Nanao, ne meurs pas. Sauve ta vie." J'ai compris, bien sûr. Je pouvais sauver ma vie. Heureusement, j'étais un homme-radar et je n'avais donc aucun risque de tuer quelqu'un.

            La guerre s'est terminée. Ce fut une bonne chose pour les Japonais : tout le monde sur la même ligne de départ. Presque tout le monde avait perdu sa maison. La maison de ma famille a été bombardée deux fois par des raids aériens. Ma famille passait d'un endroit à l'autre parce qu'elle n'avait plus de maison. Je suis allé à Tokyo.

            Bien sûr, j'ai vu Hiroshima. Il y avait tellement de sans-abri, exactement la même chose qu'après le tremblement de terre de Kobe, mais en beaucoup plus grand.

            De nombreux soldats revenaient de Mandchourie, de Chine, d'Asie du Sud. Les gens semblaient plus heureux parce que tout le monde était au même niveau. Tout le monde avait faim. Tout le monde était sans maison. C'était le même sentiment. Un bon sentiment. Je me souviens encore d'un tel sentiment : tout le monde pareil.

            J'ai commencé à travailler, parfois dans des usines sidérurgiques. Lentement, mon esprit s'est construit de cette manière : un mot italien, anarchosyndicato. Chaque profession forme un groupe. C'est le groupe des barbiers, c'est le groupe des charpentiers, c'est le groupe des pêcheurs. Chaque groupe a des représentants qui se réunissent, discutent, c'est le rêve...

            Lecture de Morgan. Même type de vision. Et Klot ; pas Karl Marx.

            En même temps, j'ai lu beaucoup de poésie chinoise, de littérature européenne et américaine.

            Quelque chose émerge, prend lentement forme. C'est un poème.

            À 30 ans, j'ai commencé à apprendre l'anglais par moi-même. J'ai essayé le français, d'abord par les chansons et les films, puis en lisant un livre de grammaire française avec une explication en anglais. Trois mois plus tard, j'ai lu Camille ! Il faut travailler dur pour apprendre une langue : Anglais, français, chinois ancien,             japonais ancien, un peu de grec ancien. Tout ça en autodidacte (je ne suis allé qu'au lycée, j'ai travaillé dès l'âge de 14 ans et, le soir, j'ai un peu de temps pour lire.)

            La tragédie grecque est la porte du primitif, une porte que j'ai en quelque sorte franchie. En même temps, j'ai découvert un art très intéressant, plus que l'art moderne : des peintures aborigènes australiennes et des dessins rupestres des Indiens d'Amérique. Ce type d'art m'a ouvert les yeux. Ouah !

            Je passais lentement tout au crible. En 1955, j'ai commencé à travailler pour sauver les forêts primaires au Japon.

            Plus tard, j'ai créé une commune. Je me suis dit : "Il ne suffit pas de parler... il faut pratiquer, montrer l'exemple." À Okinawa, j'ai trouvé un bon endroit : l'île de Suwa-no-se.

            Au début des années 1960, dans le centre de Tokyo, la culture de l'époque – beaucoup de cheveux longs, de beatniks américains, d'anciens G.I., beaucoup de G.I. vivaient avec des femmes japonaises. Ils aimaient les Japonais, ils m'ont aidé à parler, m'ont appris à fumer de la marijuana. Mes bons professeurs, ces gens-là !

            Une bonne énergie à Tokyo. Une nouvelle culture a vu le jour. Tout le monde cherchait quelque chose. Certains cherchaient le zen, d'autres le shinto, d'autres encore la "culture locale". Nanao faisait le guide, il disait : "Vous allez par ici, vous allez par là."

En 1963, j'ai rencontré Gary Snyder et Allen Ginsberg à Kyoto.

 

Steve BROOKS, entretien avec Nanao Sakaki)

in Nanao or Never, Blackberry Books 2000

 

 

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Nanao Sakaki, portrait à plusieurs voix

 

 

Voilà un homme qui a vu les nations folles du monde qui l'entourait et qui a pu encore voir l'univers tout entier jouer à travers lui, depuis la lointaine vacuité jusqu'au caillou sur le sentier. Quel chant il a chanté !

 

*

 

Ses poèmes, il ne les avait pas écrits avec sa main ou avec sa tête mais avec ses pieds. Ces poèmes étaient venus à l'existence, avaient marché dans l'existence, pour y être laissés comme des traces d'une vie vécue pour vivre.

 

Gary SNYDER

Introduction à Nanao Sakaki, Breack the Mirror

 

* * *

Chemise blanche en coton épais

Cheveux noirs et gris tirés en arrière

En queue de cheval, toute ébouriffée

attachée avec une lanière de cuir.

Bonjour, Nanao Sakaki.

 

*

Arroyo seco, Nouveau Mexique,

Le bus scolaire de Nanao.

Nanao fumant une cigarette

Feu de bois brûlant du chêne et du genévrier

Haricots Aduki dans une casserole

Deux gousses d'ail en train de rôtir

Une montre à gousset qui fait tic-tac

Deux lanternes à pétrole sur un bureau

— Une planche reposant sur deux blocs de ciment.

Nanao inhale sa fumée profondément, lentement,

Chaussettes de laine norvégiennes

Pantalon ample en laine marron et bleue

Probablement du conteneur coopératif.

 

*

 

Quand Nanao marchait au Japon

Ça lui était égal

D'être malade ou non.

Il ne paie ni de gaz ni d'électricité

Les gens lui donnent à manger.

Il trouve des vêtements

Dans un conteneur gratuit

Ça et là.

 

*

Nanao a fui le Japon.

Trop de responsabilités

Lutte pour un air pur

Lutte contre les entreprises.

Trop de jeunes

Comme des photocopieuses

Essaient d'être comme Nanao.

Se contentent de copier.

 

*

Excellente soupe

Façon Nanao ;

Eau de source,

Algues,

Champignons japonais.

Miso,

Fougères

De chez lui

À Arroyo Seco, NM.

 

*

Nanao dans un sac de couchage rouge

qui appartenait au poète Lew Welch

Sous la mère Kachina

Rouge vif, jaune, bleu, noir, blanc.

Sur la bibliothèque, les livres de Nanao,

Sa pochette et ses lunettes,

Une cassette d'Allen Ginsberg

Objets de la cérémonie du thé

Grand bol à thé noir

Convenant aux mains d'un ouvrier.

Fine cuillère à thé en bambou.

Tissu de chanvre blanc vaporeux.

Fouet en bambou dans un récipient en plastique

L'intérieur est humide pour ne pas se dessécher.

 

*

Nanao vit dans

Un vieux bus scolaire

Peint en vert,

Tapis violet clair

Sous le sac de couchage,

Tapis vert foncé

Plié en deux

Sous l'écritoire de Nanao

A l'arrière du bus

Avec 2 lampes à pétrole.

Nanao assis en lotus

Dans son lit, face au coucher du soleil

Psalmodiant d'une voix forte et profonde.

Tout est propre et paisible.

 

*

Nanao racontait comment

Après quarante-huit heures

Sans sommeil

Très peu de nourriture depuis des jours

S'étant assis à la nuit tombée

Soudain, il s'était mis à chanter

A psalmodier d'une belle voix

Sans que rien interfère.

 

Carol S. MERRILL

Hi Nanao, Blackberry Books

 

 

* * *

 

Après la fin de la guerre et son départ de l'armée de l'air japonaise, Sakaki a commencé à parcourir les montagnes et les vallées du Japon, les rues et les ruelles de Tokyo, et à hanter les bibliothèques publiques. Il n'y a pratiquement aucun endroit au Japon où il ne soit pas allé, à pied. Sans maison ni argent, il est en quelque sorte devenu une force douce comme une brise pour la génération de poètes et d'"étudiants" - de moins de vingt-cinq ans - qui déambulait dans le quartier de Shinjuku à Tokyo.

 

*

 

Je l'ai rencontré au printemps (66), et nous avons passé une semaine à marcher et à parler dans les rues de Tokyo. Linguistique, ethnologie bushman, études sanskrites, archéologie japonaise, Marx, Jung, Nagarjuna - et surtout, Révolution. La dernière fois que je l'ai vu, lorsqu'il s'est arrêté à Kyoto pour dix jours (shorts coupés, sac à dos, barbe et cheveux longs), il a dit qu'il se considérait comme un "anarchiste anthropologique" et qu'il était en train de rassembler des plans pour un magazine underground à Tokyo. Ces préoccupations peuvent nous sembler évidentes, mais au Japon - où les "communistes, artistes et poètes" sont tenus carrément à l'écart - il s'agit d'un véritable pas en avant. Sa poésie aussi, dans le contexte japonais, est fantastique. Elle peut également nous intéresser.

 

Gary SNYDER, 1966

Préface in Nanao SAKAKI Let's eat stars

 

 

* * *

 

Connu dans le monde entier, dans des cercles restreints et variés, pour son incarnation de la sagesse et de l'anticonformisme, Nanao saute par-dessus les étoiles et chevauche les typhons, c'est un grand chef de soupe miso, il aime les fleurs de lune et le gingembre mariné, la bière brune et les crosses de fougère, les eaux rugissantes et les nuages de Magellan. Il a parlé avec des dinosaures, marché dans des cratères volcaniques, survécu dans des grottes, affronté le vent de Sibérie, goûté le corps frais des sirènes, fait l'amour sousun soleil brûlant.

*

 

Ami du pin Bristlecone et des salamandres, des rivières menacées et de la taïga, des flocons de neige et de la gentiane pourpre, des kangourous et des aurores boréales, Nanao a aussi quelques ennemis : les barrages, les centrales nucléaires, les multinationales de l'exploitation forestière, les partisans de la guerre des étoiles, les carriéristes à la tête dure. Sa famille élargie commence avec les trilobites, les pissenlits, la salamandre, le vautour à tête rouge, le pingouin, les éruptions solaires, l'écureuil volant, l'herbe de la pampa, le coucou oriental, le grizzli, les kakis sauvages, la fleur d'angélique et le crabe violoniste.

 

*

 

Selon Nanao, l'évolution implique la capacité de faire taire le moi afin que la sagesse immémoriale des anciens puisse trouver sa place. Il a dit un jour que l'évolution repose sur la capacité à sortir de soi et à aider les autres sans préjugés. "Nous n'avons pas besoin d'un gourou pour apprendre la compassion. Nous sommes nés avec. Tant de gens parlent d'une vie vide, d'un monde dénué de sens. Est-ce le monde qui est vide ? Ou eux ?"

 

Voici la traduction d'un des haïkus les plus connus d'Issa par Nanao :

                   Tel qu'il est

                   il se couche et se lève

                   l'escargot.

         L'escargot a certainement éveillé Issa à la simplicité de la vie. Pas de possessions, pas de bagages inutiles, pas de modes dont il faut se préoccuper. "Oui, c'est une bonne compréhension", dit Nanao en riant, "mais peut-être qu'Issa s'est aussi demandé : Pourquoi ? Pourquoi l'escargot est comme ça et moi comme ça ? Un tel moment rend la vie plus large. La plupart des humains passent à côté de l'escargot. Ils sont trop occupés à se remplir, à aller à l'école, à penser à l'argent, à essayer d'acquérir de l'expérience ou à être pris dans des relations. Nous pouvons toujours sauter par-dessus l'expérience. Beaucoup pensent expérience, expérience ! Mais ce n'est pas vrai. Lorsque nous sommes séparés de notre expérience, nous nous réveillons. "

 

John BRANDI

Desert Rat, Planet Citizen (Rat du désert, Citoyen de la planète)

in Nanao or Never, Blackberry Books 2000

 

 

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         Nanao considère chaque être humain comme sa famille. Cela n'a pas toujours été facile pour moi ou pour ses trois autres enfants. Mais cela nous a certainement permis de rester ouverts à toutes les possibilités que le monde avait à offrir.

         Les souvenirs d'enfance que j'ai de Nanao sont des explications patientes sur le fonctionnement de la pluie et sur l'endroit où va le soleil la nuit. (Ma théorie : dans un sac de couchage). Il était souvent loin, mais il envoyait toujours des enveloppes bleues de la poste aérienne pleines de merveilles de nouveaux poèmes, des dessins, des gousses de graines duveteuses. Une fois, une grande boîte de grenades ressemblant à des bijoux est arrivée, aussi belle qu'un trésor de pirates. Le voyage à pied est difficile pour les enfants. J'ai grandi en détestant le bruissement des cartes. Mais notre monde était vaste, fait de canyons, de montagnes et de plaines désertiques. Toute petite, j'ai appris à lire les panneaux des sentiers.

         Nanao est lui-même enfantin dans son appréciation des choses simples et pures : Des insectes étranges. Les toits en carton. La couleur de la lune. Cela explique peut-être pourquoi les enfants de ses amis et sympathisants ont toujours apprécié de l'avoir comme compagnon de jeu au fil des ans.

 

Maggie Tai SAKAKI TUCKER

 

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Nanao à Terre Neuve

 

Nous écoutions le son

Que fait la glace

"C'est trop !" dit Nanao

Nous écoutions le son

Que fait le vent,

Côte ouest de Terre-Neuve,

Chemin Green Garden un

Élan à chaque tournant

Préparant la soupe miso

Nanao dit

"Je suis fou de pommes de terre !"

Nous sommes loin

Du monde

Tout est possible

Glace et vent,

Caribou.

Orignal.

 

*

 

Caribouddhisme

 

I

L('iceberg)a glace est venue

Parler avec Nanao.

Elle est juste au-delà de la fenêtre,

Elle attend au-delà de la lumière.

Elle a parcouru un long chemin.

Elle a un message pour nous.

Elle est très timide.

Si nous la regardons directement

Elle commence à fondre,

Tout ce qu'elle

a à dire, perdu

pour la lumière du

jour, le vent, les

les rochers, nos yeux -

Elle commence à parler.

Il nous faut écouter

très attentivement.

 

2

Ce soir, elle vient sous la forme d'élan,

Plus comme iceberg,

Marchant sur la pointe des pieds,

Prudemment entre les tentes.

Elle est heureuse dans l'obscurité.

Elle cherche Nanao.

Elle veut entrer dans ses rêves.

 

3

Aujourd'hui, elle se tient

Au bord de la route

Dans une plaque de sphaigne et

De neige sale.

Elle a la couleur du glacier,

Iceberg, neige et

Lumière.

Elle se retourne et

Disparaît,

Dans les bois.

Elle est caribou.

Elle est iceberg.

Elle est message,

Et rêve.

 

                   Gary LAWLESS

Twillingate/Terra Nova/Gros Morne Terre-Neuve

 

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"Les Tribus" en quelques mots

 

            Les beatniks sont apparus au Japon dans les années 1960. La première personne à avoir abandonné la philosophie des beatniks est Nanao Sakaki.

            Il est devenu clochard à la fin des années 1950 après avoir quitté son emploi. Après avoir parcouru le Japon en auto-stop, il a commencé à vivre dans la rue à Shinjuku, Tokyo, vers 1962. Il y avait à Shinjuku un groupe de 10 à 20 personnes, composé de poètes, de peintres et d'anciens activistes opposés à l'ordre établi. En 1963, ils ont rencontré Allen Ginsberg et Gary Snyder, ce qui les a beaucoup marqués.

            Ils n'avaient pas de maison et furent des clochards jusqu'en 1964. Après 1965, ils s'installèrent à l'ouest de Tokyo, le long de la ligne Chuo. En 1966, ils rencontrèrent un autre groupe dirigé par Sansei Yamao et formèrent le groupe "The Tribes" (Les Tribus).

            Le nom de "Tribus" est basé sur l'idée que la "tribu" telle qu'elle existait dans le temps devrait être l'unité idéale de la société pour les êtres humains dans le futur. Leur idée était d'abandonner la culture industrielle et de créer un autre mode de vie par eux-mêmes. Cette idée était commune aux groupes de hippies du monde entier.

            En 1967, les "Tribus" créèrent la communauté "Kaminari Aka-garasu zoku" sur les hauteurs de Fujimi, dans la préfecture de Nagano. Ils commencèrent également à construire le "Gajumaru no Yume zoku" sur l'île de Suwanose, dans la préfecture de Kagoshima. Les bâtiments des deux endroits furent achevés à la fin de l'année et une vingtaine de personnes commencèrent à y vivre en communauté.

            Le journal "The Tribes" a été publié en décembre 1967. La troisième communauté "Emerarudo iro no soyokaze zoku" fut créée à Tokyo en mai 1968. Ils ouvrirent le café "Hora-gai" qui fut le premier café rock and roll au Japon.

            L'année 1969 fut le point culminant. Plus de 50 personnes vivaient à "Kaminari Aka-garasu zoku" et de nombreux jeunes vivaient à "Banyan Ashurum" (anciennement "Gajumaru no Yume zoku").

            Cependant, à la fin de l'année 1970, "Emerarudo iro no soyokaze zoku" s'effondra. En 1974, le "Banyan Ashurum" fut également dissous et les membres commencèrent à vivre en famille et non plus en communauté. Le "Kaminari Aka-garasu zoku"disparut également en 1974.

            Après la dissolution de trois communautés, "Mugari Dojo" et "Hobitto Mura" furent créés et subsistent encore aujourd'hui. Le mouvement hippie sous forme de communauté a pris fin, mais il subsiste sous forme d'unités plus petites avec une solidarité modérée.

                                                          

                                                                                                                      John Brandi, 1997

 

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Nature et poésie

 

         Nature, beauté, source de poésie.

            Nous avons deux sources. L'une est la nôtre, au plus profond de notre être. L'autre, la nature. Ces deux sources ne sont pas séparées. Elles sont toujours liées, communicantes.

            Sans la nature, notre beauté intérieure disparaît complètement et, si nous avons une grande capacité de vision sans la nature, c'est un non-sens ! Aucun sens ! Parce que sans les yeux, on ne peut pas voir !

            Comment voir comme... Georgia O'Keeffe, qui a créé tant de nouvelles beautés, et le photographe américain Ansel Adams. Il a montré comment voir les montagnes, comment voir le désert, comment voir le Grand Canyon ! Ce genre d'esprit est toujours en mouvement pour créer quelque chose.

            Il en va de même pour la poésie, qui utilise le langage qui touche toujours à des profondeurs pour revenir ensuite à la société humaine.

 

Steve BROOKS, entretien avec Nanao Sakaki)

in Nanao or Never, Blackberry Books 2000

 

 

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Nano Sakaki, militant écologiste

 

 

 

Nanao Sakaki était une légende même à l'époque de Beat, un vagabond des continents, un voyageur solitaire, un érudit et poète autodidacte, un fondateur de communautés, un exemple vivant de réalité alternative terre-à-terre. Aujourd'hui encore passionné, dans la 65ème année de son histoire d'amour avec cette planète, il reste une légende, intemporelle et sans âge, un sage montagnard classique aux yeux clairs que l'on ne voit que rarement dans les villes, mais qui continue à parler pour l'importance vitale de l'étendue sauvage, pour la nature dans son essence.

            Il a passé les mois d'automne à Okinawa à travailler avec ceux qui tentent de sauver certaines de ses merveilles naturelles irremplaçables. Sur le chemin du retour vers son pays de neige bien-aimé, Hokkaido, il a passé quelques jours à Kyoto, où il a parlé de certaines questions qui le préoccupent actuellement.

 

* * *

 

L'AVENIR SAIT

 

C'est ce que j'ai entendu :

 

Oakland, Californie –

A la question d'un professeur

Une fillette de onze ans a répondu,

"L'océan est

Une immense piscine avec des murs de ciment."

 

Par une nuit d'été étoilée

Dans un camping au Japon

Un garçon de neuf ans, originaire de Tokyo, s'est plaint,

"C'est moche, y a trop d'étoiles."

 

Dans un grand magasin de Kyoto

Un de mes amis a acheté un scarabée

pour son fils de sept ans.

Quelques heures plus tard

Le garçon a apporté son insecte mort

dans une quincaillerie, en demandant

"Changez la pile, s'il vous plaît".

                                               Nanao Sakaki

 

* * *

 

PREMIÈRE AFFAIRE ENVIRONNEMENTALE

 

            "Mon activité dans le domaine de l'environnement a commencé en 1955.

            À la même époque, j'ai rencontré Art Blakey (batteur de jazz américain) et je me suis intéressé à la peinture américaine. Action painting. Le jazz et la nouvelle peinture.

            À la même époque, le bureau japonais des forêts a commencé à procéder à d'énormes coupes dans les forêts japonaises. C'est à cette époque que j'ai commencé à me promener dans les forêts primaires avec un jeune sculpteur. Nous avons voyagé dans tout le Japon à la recherche de forêts primaires.

            Je suis allé sur l'île méridionale de Yakushima. Elle est minuscule, 100 km de circonférence, 2000 m d'altitude. À l'intérieur, il y a une énorme forêt de cèdres. La forêt de cèdres est toujours là ! L'un des arbres les plus anciens a 7 000 ans. Vous imaginez ? Si énorme... mais pas si grand, pas comme le séquoia, mais du même groupe que le séquoia et le séquoia.

            Le bureau des forêts était en train d'abattre un arbre aussi magnifique et j'ai commencé à leur demander d'arrêter : "Pourquoi abattez-vous un tel arbre ? Il ne s'agit pas seulement d'un trésor japonais, mais d'un trésor mondial, d'un bien de l'humanité        ? Nous ne devrions pas l'abattre à si bon marché juste pour la construction." Mais ils disent : "C'est notre AFFAIRE !" Ils ne m'écoutent jamais.

            J'ai donc commencé à parler à Tokyo, à des groupes environnementaux japonais qui       venaient de naître à Tokyo. Nous avons travaillé ensemble, mais cela n'a pas fonctionné parce que c'est une question de BIG BUSINESS.

            De nombreuses années plus tard, ils ont cessé de couper les cèdres et ont apporté les restes au patrimoine mondial de l'UNESCO. Le cèdre est devenu un trésor mondial. Mais je dis : "Trop tard ! Il n'y a plus de sens ! Tout a été coupé ! Il ne reste que quelques arbres et c'est un trésor mondial ? Pourquoi ?

            Je suis très en colère dans cette affaire. C'était donc en 1955.

 

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LE JAPON AUJOURD'HUI

 

            Mon sentiment réel est qu'il n'y a plus d'espoir. Tout le Japon est mort. Mais il reste encore quelques endroits avec un peu d'énergie, comme Okinawa, Shiretoko, Ashu à Kyoto des endroits isolés pour la plupart. Le Kankyocho (Agence pour l'environnement) ne fonctionne pas. C'est un non-sens. Cela n'a aucun sens ils ne s'intéressent qu'au grand capital et au gouvernement. Ils n'accordent aucune attention aux vrais agriculteurs, aux vrais pêcheurs, aux vraies forêts. Ils n'ont aucun amour pour les forêts et les océans. Ce ne sont que des bureaucrates. Mon travail consiste à aider ces vrais agriculteurs et pêcheurs à se rassembler.

            J'ai parcouru l'ensemble du pays à de nombreuses reprises pendant de nombreuses années et j'ai vécu dans les montagnes. Je ne suis pas un professionnel, ni un scientifique... mais je sais par ma peau, par mes jambes, ce qui se passe. Ce n'est pas seulement mon village, mais tout le Japon qui est en train de mourir... Il y a juste une petite flamme quelque part nous devons cultiver, nous devons pêcher et en même temps nous devons faire de la poésie, de la musique, de l'art, du ménage et du tissage. Tout cela va de pair.

 

 

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RESIDENCES DE VACANCES

 

            Sur l'île de Suwanose, où de nombreux jeunes Japonais sont venus créer une communauté, Yamaha a construit un Leisure Land. Mais Dieu nous a aidés, et deux ou trois ans plus tard, ils ont abandonné. C'est sans doute trop dur pour les riches touristes. Il y a un volcan en activité, donc les cendres descendent et causent de terribles douleurs aux yeux et se retrouvent dans l'eau potable. L'océan est également très agité et houleux. Ce n'est pas très bon pour les personnes qui portent des talons hauts. Les touristes ne prêtent jamais attention aux autres formes de vie et n'ont donc aucune relation avec le monde vivant.

 

 

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LES PARCS NATIONAUX JAPONAIS

 

            La marine américaine veut construire une base aérienne pour avions de chasse sur l'île de Miyake C'est un parc national ! Vous imaginez ? Pouvez-vous dire OK dans le Grand Canyon ? Le système des parcs nationaux au Japon n'a été mis en place qu'il y a 50 ans. Ce n'est que maintenant, lentement, qu'émerge le sentiment que le parc national est un sanctuaire.

 

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LES FORÊTS AU JAPON

 

            Dans la partie nord d'Okinawa, il existe une forêt d'une sorte de chênes. Ce chêne est appelé shii. Il s'étendait autrefois d'ici jusqu'au nord, au-delà de Tokyo. Le palais de l'Empereur est principalement constitué d'arbres shii. Autrefois, c'était le principal arbre de l'ouest du Japon, mais aujourd'hui, on ne le voit plus. Ils ont tous été abattus, mais à Okinawa, ils s'étendent encore sur des kilomètres et des kilomètres. Ce n'est pas une forêt primaire, mais on peut parler de forêt naturelle car les arbres sont coupés pour le bois de chauffage et repoussent ensuite. Certaines parties sont la propriété de l'armée américaine et aucun Japonais ne peut y pénétrer. C'est vraiment dingue. Cette forêt abrite un oiseau rare, le Nogushi-gera ou pic de Pryer, que l'on trouve ici et nulle part ailleurs. Et un autre, le Yambaru-Kuina ou Râle d'Okinawa, que l'on ne trouve que dans cette forêt. Il est donc probable que les étudiants en arbres, plantes et insectes viendront ici à l'avenir pour découvrir le type de forêt que le Japon possédait dans le passé. Mais même cette forêt est menacée.

 

 

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REFORESTATION

 

            À Nagano, où j'ai vécu pendant dix ans, on a abattu de nombreux feuillus et planté à leur place des sugi (cryptomères) et des hinoki (cyprès). Maintenant que les prix du bois ont baissé, plus personne ne s'intéresse à ces forêts. Ces arbres meurent et l'eau coule partout (crues subites). Il faut replanter, non pas des sugi ou des hinoki, mais les arbres naturels du Japon. Même le département des forêts réfléchit dans ce sens maintenant. Une belle forêt, un grand désert, une nuit étoilée – nous, les êtres humains, avons aussi besoin de nourriture pour nos yeux, c'est pourquoi je ne veux pas voir une forêt qui se meurt.

 

 

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(AGRI)CULTURE

 

            Savez-vous ce que signifie hyakusho (fermier, agriculteur) en japonais ? Hyaku signifie cent et sho signifie occupation. Aussi, être un agriculteur signifie avoir cent occupations. Vous pouvez tout faire. Sinon, vous n'êtes pas un vrai agriculteur. Nous devons donc cultiver, tisser, construire des maisons et, en même temps, faire de la musique, de l'art et de la poésie. Tout va de pair.

 

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PROBLEMES ENVIRONNEMENTAUX : RÉCIF DE CORAIL BLEU, SUD D'OKINAWA

 

            C'était en 1982.

            J'ai appris que le gouvernement de Tokyo voulait construire un aéroport au sommet du dernier grand récif corallien bleu du monde, dans le sud d'Okinawa, pour les touristes. Vraiment étrange ! Pourquoi détruire le récif corallien et faire du tourisme ? C'est une idée déroutante !

            J'ai donc commencé à sauver le récif corallien. Avant moi, d'autres personnes avaient déjà commencé, en particulier des habitants de la région. Mais ça ne marchait pas.

            Je suis allé aux États-Unis en 1985 et 1987. En 1988, j'ai publié mon livre (en anglais). Je suis donc venu plusieurs fois et, à chaque fois, j'ai parlé de l'affaire des récifs coralliens. Beaucoup de gens ont commencé à comprendre ce qui se passait là-bas.

            En 1988, j'ai organisé un grand rassemblement à San Francisco. Allen Ginsberg, Gary Snyder, Michael McClure, Joanne Kryger, Peter Coyote m'ont aidé. Plus de 10 000 personnes y ont participé. Ce fut un grand coup de poing pour le gouvernement japonais. Au début, ils ne comprenaient pas pourquoi les poètes américains intervenaient pour s'opposer dans une affaire japonaise, mais j'ai fait une déclaration qui parlait d'amis du Japon en utilisant un haïku d'Issa :

                       

                        Centimètre par centimètre

                        l'escargot

                        escalade le mont Fuji.

 

Et j'ai dit : "Le récif corallien est le dernier grand corail bleu du monde. Ce n'est pas seulement une possession japonaise, c'est un patrimoine mondial ! C'est pourquoi nous parlons de le sauver. S'il vous plaît, écoutez-nous ! Pour les générations futures, nous devons conserver ce récif corallien !"

            Finalement, le gouvernement a renoncé.

            Le poète a donc un peu de pouvoir.

            Après cela, j'ai invité Allen Ginsberg au Japon et un représentant des habitants de l'île d'Okinawa est venu voir Allen à Tokyo pour le remercier. Ils nous ont apporté des sandales fabriquées à la main à partir d'herbes et de la nourriture provenant de l'océan.

 

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PROBLÈME ENVIRONNEMENTAL : "LOVELY SPRING DAWN", FORÊT PRIMAIRE DE TASMANIE, AUSTRALIE

 

            J'ai été invité en Tasmanie, en Australie, en 1993. Il y avait un grand rassemblement pour sauver la forêt et on m'a demandé d'y participer. Ils m'ont envoyé un billet.

            Je suis donc allé en Tasmanie, j'ai participé au festival, j'ai lu mes poèmes et ils m'ont informé sur la Tasmanie. "Une grande entreprise japonaise fabrique de la pâte à papier : elle est en train de quasiment décimer la forêt primaire.

            Le sud-ouest de la Tasmanie n'appartient à personne. Cette partie est déjà inscrite au patrimoine mondial. (Un tiers de l'île). L'autre partie est peu peuplée. La Tasmanie a la même taille que le Sri Lanka, mais sa population est d'un demi-million d'habitants et il est très facile d'y vivre. La nourriture est abondante. Dans l'océan, on peut obtenir des fruits de mer presque à la main. Un endroit si riche ! Il y a encore quelques aborigènes.

            Le fait est que l'Australie traverse une période difficile sur le plan économique. Le gouvernement veut donc tout vendre aux entreprises japonaises.

Mais la jeune génération a beaucoup changé, c'est la jeunesse la plus puissante du pays, très active, pas violente, très intelligente et très forte. Ils se battent toujours pour       sauver la forêt. Ils m'ont demandé de les rejoindre. J'ai parcouru de nombreuses montagnes. Des montagnes incroyablement belles. Si vierges. Presque aucune empreinte.

            Je suis allé au Japon et j'ai commencé à parler de la sauvegarde de cette forêt : "Ces arbres partent au Japon sous forme de copeaux de bois, pour devenir du papier toilette et des magazines de bandes dessinées. C'est une histoire terrible." Le magazine japonais de bandes dessinées est un hebdomadaire tiré à un million d'exemplaires, très lourd (papier épais). Vous imaginez ? Et il n'y a pas de recyclage, nulle part.

            J'ai parlé à de nombreuses personnes, mais ça ne marchait pas. Ils disaient : "Ouah, du papier toilette d'Australie, un magazine de bandes dessinées d'Australie, qu'est-ce qui ne va pas avec ça ? Je ne savais donc plus quoi faire.

            Un jour, j'ai su : Kyoto est une ville vieille de 10 200 ans. Son anniversaire a été célébré l'année dernière et j'ai vu une image... d'envahisseurs venus de l'espace...

Je voulais que les gens voient vraiment ça. Et ça a marché.

            J'ai fait une lecture en anglais à Kyoto, il y a là pas mal d'Américains, et les gens ont été vraiment choqués. Certains disaient : "C'est une histoire vraie ?"

            La fois suivante, j'ai lu en japonais. A la suite de quoi une centaine d'auteurs de bandes dessinées et de dessinateurs japonais ont eu honte ! C'était choquant pour eux, Ouah!  Pour les jeunes auteurs et artistes, c'était un bon coup de poing ! "Quelqu'un devrait faire quelque chose", ont-ils dit.

            Mais aujourd'hui, Tokyo subit un autre choc : celui du gaz toxique dans le métro.

 

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PROBLEME ENVIRONNEMENTAL : CENTRALES NUCLÉAIRES ET TREMBLEMENTS DE TERRE AU JAPON

 

            Il y a quinze centrales nucléaires au nord de Kyoto, je m'y rends souvent. Je séjourne dans des temples Shingon ou Zen qui sont anti-nucléaires.

            La plupart des bouddhistes japonais sont très conservateurs, ils ne parlent jamais du problème de l'énergie nucléaire, mais les moines de ces temples-là crient "pas de nucléaire, pas de nucléaire !".

            Kyoto est si proche des centrales, à seulement 160 km, et le vent y souffle en permanence           : de Kyoto à Osaka et à Kobe.

            À cause du vent, si cela devait arriver, des millions de personnes devraient mourir. Le gouvernement pense déjà que 5 millions de personnes mourront si quelque chose arrive à une centrale. Comme un tremblement de terre.

 

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PROBLEME ENVIRONNEMENTAL : LE RÉACTEUR NUCLÉAIRE SURGÉNÉRATEUR NOMMÉ MANJUSHRI, AU JAPON

 

            Pourquoi a-t-on utilisé, au Japon, le nom du bodhisattva Manjushri pour le réacteur nucléaire surgénérateur ? Le réacteur le plus dangereux. S'ils devaient, au Canada, utiliser un nom pour leur surgénérateur, devrait-il s'agir de Jésus-Christ ? Qu'en pensez-vous ? J'ai demandé, en particulier à des prêtres bouddhistes, de lancer un mouvement pour changer le nom.

            Dans les années qui ont suivi Hiroshima, les gens pensaient que le nucléaire n'était pas un problème. Ils se disaient : "Nous pouvons utiliser l'énergie sans danger, nous pouvons avoir une énergie pure et propre pour tout le monde." Ils étaient fascinés, admiratifs d'Einstein. Mais ce n'est plus le cas.

            Il faut d'abord changer le nom, puis la conscience des gens s'éveillera : "Nous n'en avons pas besoin !" Puis finir ! "Sans énergie nucléaire, nous pouvons survivre."

 

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PROBLEME ENVIRONNEMENTAL : RIVIÈRES JAPONAISES, FAUNE ET BARRAGES

 

            Ma dernière interview je l'ai donnée à la Whole Earth Review, et j'ai dit : "Plus de conscience, plus d'énergie pour les problèmes environnementaux".

            À cet égard, l'Amérique du Nord est en bien meilleure posture. C'est un choc de venir ici depuis le Japon. Ici, il n'y a pas tant de monde ! Seulement, il y a encore une chose à propos du Japon : dans l'île septentrionale de Hokkaido, nous avons eu 1000 ours grizzlis, et sur l'île principale, 10 000 ours noirs.

            C'est dire à quel point la forêt japonaise est riche. En Angleterre : pas d'ours. L'Allemagne n'a probablement pas d'ours. La France pourrait en avoir très peu.

            La forêt est très riche au Japon. Il s'agit principalement d'arbres cultivés et non de forêts primaires, des forêts créées par l'homme.

            Dans ma mémoire, quand j'étais enfant,

            Comme le ciel était bleu

            Comme la rivière était riche.

            J'ai grandi au bord d'une grande rivière, très riche. On pouvait même pêcher du poisson à la main, et des anguilles. Elles ont presque disparu, à cause du poison.

 

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ACTION ENVIRONNEMENTALE SUR LA RIVIÈRE NAGARA, JAPON

 

            La rivière Nagara, à l'est de Kyoto, n'est pas une très grande rivière. C'est la seule rivière sans barrage au Japon. Toutes les autres rivières : barrage ! barrage ! barrage !

            Sur la rivière Nagara, ils construisent un énorme barrage. Tout le monde sait que cela n'a aucune signification, c'est juste pour les affaires. Le gouvernement doit utiliser l'argent, sinon ils ne peuvent pas percevoir d'impôts. Et les entreprises ont besoin d'emplois. Sans emplois, elles doivent abandonner. Les populations locales ont besoin d'un peu d'argent. Tout le monde construit ce genre d'illusion. Il faut créer plus d'emplois ! Qu'il s'agisse de cette rivière ou de la suivante, ils n'apprennent jamais rien de leur expérience.

            Pendant cinq ans, j'ai marché le long de cette rivière, toujours avec un ami.

C'est très court, seulement 160 km. Le simple fait de marcher est très important. On apprend tellement de choses, on sent la rivière et on la touche. Aujourd'hui, la rivière nous manque presque, parce que toutes les rivières sont sales et            contaminées, alors nous ne sautons plus jamais dans l'eau.

            Dans la rivière Nagara, il y a encore quelque chose de bien. J'ai rencontré deux fois une grosse salamandre d'un mètre de long. Et il y a beaucoup de Nutria, semblables à des castors.

            Je recommande aux gens de marcher dans la rivière. En outre, les rivières se trouvent principalement sur des terres publiques, ce qui n'est pas un problème.

            Parfois, nous fabriquons un radeau. Vingt à trente, parfois cent personnes marchent ensemble. C'est tout simplement parce que nous aimons la rivière.

Peu à peu, les habitants de la région viennent nous voir : "Pourquoi marchez-vous ? Restez avec nous une nuit." Ils nous offrent du saké et de la nourriture. "Restez dans votre temple", disent-ils. Et comme c'est un jour de pluie, il vaut mieux rester     au temple.

            Maintenant, nous sommes très bien avec les gens du pays et quand nous parlons un peu du barrage, ils comprennent. Ils disent : "Oh, nous vous avons vu marcher tant de fois. Merci." Bonne vibration. Maintenant, ils disent : "Pas besoin de barrage."

            D'autres groupes crient fort : "Pas de barrage ! Arrêtez de construire !", mais mon groupe chante tranquillement des chansons. Plus de poésie. Plus de musique. Plus de cœur.

 

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PAS DE BODHISATTVA : UNE RÉFLEXION EN TEMPS DE GUERRE

 

A la fin de la seconde guerre mondiale au Japon

Sous les mitrailleuses et les chasseurs américains,

Parfois j'en avais 100 au-dessus de la tête ;

Je parlais à mes soldats : "Pourquoi ne larguent-ils pas du chocolat ?"

 

S'ils larguaient du chocolat, ils obtiendraient un truc très simple : pas de guerre.

Le chocolat, ça marche

Ou le rouge à lèvres

Ou la bière

Ou le tabac

Ou simplement une chemise propre !

Les Japonais abandonneraient ! J'en suis sûr, à ce moment-là

Pourquoi larguent-ils des bombes et des bombes atomiques ? Ce n'est pas très malin.

 

C'est ce que j'avais compris au moment de la guerre.

Pas de bodhisattva dans le gouvernement américain,

Dans le gouvernement de Tokyo. Je ne pense pas.

 

Aujourd'hui, un bodhisattva serait un politicien ou même un économiste.

  

 

in Nanao or never, Blackberry Books 2000

traduit de l'anglais (E. U. ) par Danièle Faugeras