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05/04/2024
Danièle Faugeras
Blog PO&PSY

"Note autobiographique" de Fernando Pessoa

NOM : Fernando Antonio Nogueira Pessoa.

 

DATE ET LIEU DE NAISSANCE : né à Lisbonne, paroisse des Martyrs, n° 4 Margo de S. Carlos (aujourd’hui « do Directório ») le 13 juin 1888.

 

FILIATION : fils légitime de Joaquim de Seabra Pessoa et de Maria Magdalena Pinheiro Nogueira. Petit fils, du côté paternel, du général Joaquim Antonio de Araujo Pessoa, combattant des campagnes libérales, et de Dionysia Seabra ; du côté maternel, du conseiller Luiz Antonio Nogueira, jurisconsulte, qui fut directeur général du ministère du Royaume, et de Magdalena Xavier Pinheiro. Ascendance plus lointaine mélange de gentilshommes et de juifs.

 

ÉTAT CIVIL : célibataire.

 

PROFESSION : le terme le plus approprié serait « traducteur », le plus exact celui de « correspondant en langues étrangères dans des maisons de commerce ». Le fait d’être poète et écrivain n’est pas une profession mais une vocation.

 

DOMICILE : Rua Coelho da Rocha, 16, 1° D°, Lisbonne. (Adresse postale    boîte postale 147, Lisbonne.)

 

FONCTIONS SOCIALES REMPLIES : si l’on entend par là des emplois dans la fonction publique ou des postes importants, aucune.

 

ŒUVRES PUBLIÉES : pour le moment, l’œuvre est essentiellement dispersée dans plusieurs revues et publications occasionnelles. Voici, en fait de livres ou de brochures, ce qu’il juge valable : 35 Sonnets (en anglais), 1918 ; English Poems I-II et English Poems III (également en anglais), 1922 ; et le livre Message, 1934, primé par le Secrétariat à la Propagande nationale, dans la catégorie « Poème ». La brochure L’Interrègne, publiée en 1928 et constituant un plaidoyer en faveur de la Dictature militaire au Portugal, doit être considérée comme non avenue. Il importe de revoir tout cela et peut-être d’en éliminer une bonne partie.

 

ÉDUCATION : son père étant décédé en 1893 et sa mère s’étant remariée en 1895 avec le commandant João Miguel Rosa, consul du Portugal à Durban, Natal, c’est là qu’il fut élevé. À quinze ans, en 1903, il obtint à l’examen d’entrée à l’université du Cap de Bonne-Espérance, le prix Reine Victoria en dissertation anglaise.

 

IDÉOLOGIE POLITIQUE : estime que la Monarchie serait le régime le plus indiqué pour un pays organiquement impérial comme le Portugal. Estime en même temps que la Monarchie n’est absolument pas viable au Portugal. Aussi, s’il fallait choisir un régime par plébiscite, voterait à contre-cœur pour la République. Conservateur à la façon anglaise, c’est-à-dire libéral dans le cadre du conservatisme, et résolument antiréactionnaire.

 

POSITION RELIGIEUSE : chrétien gnostique, et par conséquent tout à fait opposé à toutes les Églises constituées, surtout à l’Église de Rome. Fidèle, pour des raisons plus loin implicites, à la Tradition secrète du Christianisme, en rapport étroit avec la Tradition secrète d’Israël (la Sainte-Cabale) et l’essence occulte de la Maçonnerie.

 

POSITION INITIATIQUE : initié par communication directe de Maître à Disciple aux trois grades mineurs de l’Ordre (censément aboli) des Templiers du Portugal.

 

POSITION PATRIOTIQUE : partisan d’un nationalisme mystique, d’où serait exclue toute infiltration catholique romaine, laquelle serait remplacée spirituellement, si tant est qu’il y ait jamais eu de spiritualité dans le catholicisme portugais, par un nouveau sébastianisme. Nationaliste qui a pris pour devise :

« Tout pour l’humanité ; rien contre la nation. »

 

OPINIONS SOCIALES : anticommuniste et antisocialiste. Le reste découle de ce qui est dit ci-dessus.

 

RÉSUMÉ DE CES DERNIÈRES CONSIDÉRATIONS :

ne jamais oublier le martyr Jacques de Molay, grand maître des Templiers, et combattre, toujours et partout, ses trois assassins   l’ignorance, le fanatisme et la tyrannie.

 

         Lisbonne, le 30 mars 1935

FERNANDO PESSOA

 

 

Fernando Pessoa, la personne

 

Mon esprit est tout entier fait d’hésitation et de doute. Rien pour moi n’est ou ne peut être positif ; tout vacille autour de moi, et moi avec, je ne suis qu’incertitude. Tout est pour moi incohérent et changeant. Tout est mystère et tout est signifiant. Toute chose est symbole « inconnu » de l’Inconnu. Et donc horreur, mystère, peur par excès d’intelligence.

En raison de mes penchants naturels, de l’environnement de mon enfance, de l’influence des études entreprises sous leur empire (de ces mêmes penchants), en raison de tout cela, je suis d’un caractère renfermé, égocentrique, taciturne, non autonome mais désorienté. Toute ma vie est faite de passivité et de rêve. Tout mon caractère consiste en la haine, en l’horreur de tout ce qui est moi, dans l’incapacité de me forcer physiquement et mentalement à des actes décisifs, à des pensées précises. Jamais une de mes décisions n’est le fruit d’un dessein délibéré, je n’ai jamais pu traduire extérieurement une volonté consciente.

Aucun de mes écrits n’a été achevé ; toujours de nouvelles pensées surgissaient, d’extraordinaires associations d’idées, inéluctables, sans autre aboutissement que l’infini. Je ne puis résister à la répulsion de mon esprit pour ce qui est fini ; sur le moindre sujet surviennent dix mille idées et dix mille associations entre ces dix mille idées, et je n’ai pas assez de volonté pour les écarter ou pour en arrêter le flot, pas plus que pour les grouper en une pensée centrale où se perdraient peut-être les détails insignifiants, mais liés entre eux. Elles passent en moi ; ce ne sont pas mes pensées mais des pensées qui me traversent. Je ne réfléchis pas, je rêve ; je ne suis pas inspiré, je délire. Je sais peindre et n’ai jamais peint. Je sais composer de la musique et n’en ai jamais composé. D’étranges conceptions dans trois arts, de charmantes images fugaces effleurent mon cerveau mais je les y laisse sommeiller jusqu’à ce qu’elles meurent, car je n’ai pas le pouvoir de leur donner corps, d’en faire des éléments du monde extérieur.

                                      Fernando Pessoa,

                       « Fragments autobiographiques » (1910)

                    in Páginas Intimas e de Auto-Interpretação

                                    (Ática, Lisbonne 1966)

 

 

Le point central de ma personnalité, en tant qu’artiste, c’est que je suis un poète dramatique ; j’ai sans cesse, dans tout ce que j’écris, l’exaltation intime du poète et la dépersonnalisation du dramaturge. Je m’envole autre – c’est tout. [...] En tant que poète, je sens ; en tant que poète dramatique, je sens en me détachant de moi-même ; en tant que dramaturge (sans poète), je convertis automatiquement ce que je sens en une expression étrangère à ce que j’ai senti, en construisant dans l’émotion une personne inexistante qui la sentirait vraiment et qui ainsi sentirait, dérivées de moi, d’autres émotions que moi, celui qui n’est que moi, j’ai oublié de sentir.

                                      Fernando Pessoa

                   Lettre à Gaspar Simoes, 11 décembre 1931

 

 

 

À l’origine de mes hétéronymes, il y a ce trait profond d’hystérie

qui existe en moi . [...] L’origine mentale de mes hétéronymes est dans ma tendance organique et constante à la dépersonnalisation et à la simulation. Chez moi, ces phénomènes se sont – heureusement pour moi et pour les autres – intellectualisés : je veux dire qu’ils ne se manifestent pas dans ma vie pratique, à l’extérieur et en contact avec d’autres ; ils explosent en moi et je les vis en tête-à-tête avec moi-même. [...] Chez les hommes, l’hystérie prend surtout un aspect mental ; ainsi tout s’achève-t-il en silence et en poésie...

                                      Fernando Pessoa

         Lettre à Adolfo Casais Monteiro, 13 janvier 1935

 

 

 

Aujourd’hui, je n’ai plus de personnalité : tout ce qu’il peut y avoir d’humain en moi, je l’ai réparti entre les différents auteurs dont j’ai exécuté l’œuvre. Je suis désormais le point de rencontre d’une petite humanité qui n’appartient qu’à moi.

                                      Fernando Pessoa

                    Páginas Intimas e de Auto-Interpretação

 

 

     

 

 Je ne suis rien.

 Je ne serai jamais rien.

 Je ne peux vouloir être rien.

 À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.

                                           Álvaro de Campos

                                           Bureau de tabac

 

 

Fernando Pessoa, l’art

 

 

C’est que je prends très au sérieux l’art et la vie. Quand on jette un regard religieux sur le triste et mystérieux spectacle du Monde, c’est la seule attitude possible à l’égard de son propre sens-du-devoir.

                                           Fernando Pessoa

           Lettre à Armando Cortes-Rodrigues,19 janvier 1915

 

 

 

Pour moi, l’art est essentiellement dramatique, et le plus grand artiste est celui qui, dans son art – car on peut dans tous les arts, selon leur « matière », faire du drame, c’est-à-dire sentir de façon dramatique – , vit de la façon la plus intense, la plus profuse et la plus complexe tout ce qui n’est pas lui, autrement dit, qui exprime de la façon la plus intense, la plus profonde et la plus complexe tout ce qu’il n’éprouve pas vraiment ou, en d’autres termes, qu’il n’éprouve que pour l’exprimer.»

                                           Fernando Pessoa,

                   Lettre à Francisco Costa,10 août 1925

 

 

 

Pour qu’une impression puisse se convertir en matériau artistique, il faut tout d’abord qu’elle se transforme en impression, non pas en partie mais totalement, intellectuelle. Et par « intellectuelle » j’entends, non de l’intelligence en tant qu’expression supérieure, mais en tant qu’expression abstraite de la personnalité. Ou, en d’autres termes plus simples : ce n’est que lorsque l’individu devient, grâce à l’intelligence, un petit univers, qu’il trouve dans l’impression produite le matériau dont sera fait ce que nous appelons l’art.

Ce que nous sentons n’est que ce que nous sentons. Ce que nous pensons n’est que ce que nous pensons. Mais ce que, senti ou pensé, nous repensons comme si nous étions un autre – voilà ce qui se change naturellement en art et prend forme en refroidissant.

                                          Fernando Pessoa,

         Lettre à Adolfo Casais Monteiro, 11 janvier 1930

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