Régine Scelles


le 5 janv. 2015

Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre : Psychologue clinicienne, tu es professeur de psychopathologie à l’université de Nanterre. Tu diriges depuis plusieurs années la revue Dialogue. Familles & couples. En 2014, la revue Dialogue fait peau neuve en paraissant sous un nouveau format avec une nouvelle maquette. Cela constitue une des étapes de la longue vie de cette publication, créée en 1961 par Jean G. Lemaire qui fonde à cette époque l’Association française des centres de consultations conjugales (afccc). En 1998, érès publie son premier numéro de Dialogue, il s’agit du n° 139 : Ces couples qu’on appelle « mixtes ». Le numéro 203 homosexualités et familles vient de paraître. Il témoigne de l’ancrage sociétal de la revue qui n’a cessé d’explorer les diverses facettes des évolutions de la famille, du couple, des relations qui s’y nouent ou s’y dénouent, des processus conscients et inconscients qui y président. Peux-tu nous faire un rapide historique de la revue en pointant les moments-clés qui l’ont marquée et peut-être les personnes qui lui ont donné son identité ?

Régine Scelles : La revue, dès sa fondation à partir d’un ancrage dans la psychanalyse, a eu comme objectif de s’ouvrir à la philosophie, à l’anthropologie et à la sociologie. Si son ancrage dans la théorie psychanalytique a toujours été clair et affiché, pour autant, elle a su être à l’écoute d’autres courants théoriques. Elle a voulu rendre compte des évolutions des théories mais aussi des pratiques avec les familles et les couples. Dans son comité de rédaction et son comité scientifique, il y a majoritairement des « psy » praticiens et universitaires, mais aussi des sociologues. Cette confrontation entre différentes disciplines des sciences humaines et sociales est la marque de Dialogue. La revue a aussi évolué dans sa manière de fonctionner, après le départ de Marie-Noëlle Mathis, la secrétaire de rédaction. Le comité de rédaction a dû s’organiser autrement, le rôle des directeurs de numéro a été renforcé, mieux défini et une ouverture à l’international a été amorcée avec la traduction d’un numéro en turc et, prochainement, un autre en portugais en lien avec des collègues du Brésil.

Dialogue ne serait pas ce qu’elle est non plus sans le professionnalisme et la grande gentillesse de Aude Payzan, la secrétaire de rédaction, celle qui œuvre dans l’ombre mais avec efficacité. La revue a dû également se plier aux normes internationales pour se faire indexer dans Psycinfo, ce qui était important pour les auteurs et pour la reconnaissance à un niveau national et international de la revue.

Au fil du temps, les liens entre Dialogue et l’afccc ont beaucoup évolué ; ils se poursuivent aujourd’hui dans un climat tout à fait serein et propice au travail de pensée de la revue.

 

MFDS : En tant que psychologue clinicienne et enseignante-chercheure, tu t’es beaucoup intéressée aux situations de handicap et à leur influence sur les familles, parents et enfants1. Comment as-tu « rencontré » la revue Dialogue ? Aujourd’hui, alors que Jean G. Lemaire a pris une retraite bien méritée, c’est toi qui diriges la revue avec un comité de rédaction dans lequel de nouveaux membres se joignent aux acteurs de la première heure. Quelle ligne éditoriale suivez-vous ? Y a-t-il des continuités et des ruptures dans le travail de recherche et d’analyse que vous développez ?

RS : J’ai rencontré Dialogue en y écrivant, puis en participant au comité de rédaction, j’y ai rencontré des enseignants-chercheurs et des praticiens qui débattaient avec passion dans un climat très sympathique. Cela m’a donné envie de m’investir davantage sur un thème qui était au centre de ma pratique clinique et de mon métier de chercheure et d’enseignante. Quand Jean m’a proposé de reprendre la direction de la revue, cela s’est fait progressivement dans un compagnonnage permettant à la fois à ceux qui faisaient vivre la revue de continuer à y participer tout en s’habituant progressivement aux changements que j’ai introduits. Ces modifications de fonctionnement ont laissé une grande initiative et créativité aux membres du comité de rédaction et du comité scientifique pour imaginer des thématiques à traiter, pour également explorer des réseaux de chercheurs et de professionnels intéressés par les problématiques de la famille et du couple. Si Dialogue a toujours eu le désir de rester en prise avec les questions actuelles que pose la famille, c’est en ayant la volonté de prendre le recul que permettent la réflexion théorique, la mise en perspective avec l’histoire des idées et des pratiques. Dès lors, il ne s’agit pas de coller à l’actualité mais de s’en saisir pour avancer dans la compréhension de la famille, des couples dans leurs dimensions complexes.

La revue Dialogue a été à l’origine de la conférence des revues en langue française dans le but de contrer le mouvement d’attaque des évaluateurs sur les revues françaises. Elle a aussi pris des positions claires et réflexives sur les questions relatives au titre de psychothérapeute ou encore sur celles relatives aux recompositions familiales, aux couples homoparentaux par exemple.

 

MFDS : À quels lecteurs destinez-vous la revue ? La présence de Dialogue sur le portail de sciences humaines et sociales CAIRN a accru la visibilité de la revue dans les milieux universitaires et on constate que les étudiants et les enseignants consultent assez largement les articles en version numérique. Par contre, la diminution du nombre de librairies indépendantes et de la place qu’elles consacrent aux revues et plus largement aux sciences humaines réduit la possibilité de découvrir Dialogue dans sa version papier. Cette évolution a-t-elle une influence sur le travail de la revue ?

 

RS : La revue Dialogue est destinée aux étudiants bien sûr, à leurs enseignants et aux professionnels. Les étudiants, c’est une évidence, n’achètent jamais ou rarement un numéro, ils téléchargent les articles sur Cairn.info, leurs enseignants aussi.

En revanche, la version papier reste encore un support important pour les professionnels.

Ces deux supports permettent donc à Dialogue de toucher les deux publics et c’est sa raison d’être. En effet, la volonté du comité de rédaction est véritablement de donner aux personnes qui s’intéressent à la famille des outils pour penser, mais aussi des aides dans les pratiques de soins, d’accompagnement, de médiation avec les familles. C’est pourquoi dans chaque numéro, il y a des articles théoriques se référant majoritairement à la psychanalyse, un ou deux articles de sociologues, historiens ou anthropologues et, de manière systématique, un voire deux articles sur des pratiques de thérapies ou plus généralement d’interventions auprès des familles et/ou des couples.

 

MFDS : Tu as fait partie des universitaires qui se sont mobilisés pour faire reconnaître les revues françaises de sciences humaines dans les classifications de l’AERES. Est-ce que cela a débouché sur des avancées ?

RS : Oui, je pense que depuis deux ou trois ans, les revues francophones ont pris conscience de la nécessité de mieux connaître les règles d’évaluation des écrits au niveau international, non pas forcément pour les suivre aveuglément mais pour, au moins, ne pas en être des victimes impuissantes.

Je dois dire que le travail de concertation et d’échange de bonnes pratiques entre revues que cela a impulsé a été très profitable. D’une part parce que l’AERES a renoncé à hiérarchiser la qualité des revues, elle s’en tient maintenant au fait qu’elles soient indexées, ou pas, pour évaluer la production des unités de recherche, ce qui est une excellente chose.

Suite à ce mouvement, les revues ont parlé entre elles des bonnes pratiques, des modalités de fonctionnement. Par exemple, le principe de lecteurs-experts permettant de critiquer les articles, de proposer des améliorations est de plus en plus adopté. Si cela alourdit le système, cela valorise les auteurs et permet d’impliquer davantage la communauté scientifique et les professionnels dans la vie de la revue. Par exemple, en une année, Dialogue fait appel à une soixantaine de lecteurs pour évaluer les articles. Cela contribue aussi à faire connaître la revue. Par ailleurs, les résumés et les mots-clés sont maintenant compris comme un outil de diffusion, ce qui évidemment est profitable pour tous. Enfin, ce mouvement a permis à Dialogue, mais aussi à d’autres revues, de mieux prendre la mesure de la nécessité de faire connaître leurs travaux en dehors des pays francophones. Suivant cette réflexion, Dialogue, par exemple, à partir de juin 2014, sélectionnera, pour chacun de ses numéros, un article qui bénéficiera d’un résumé long (1 page) traduit en anglais et disponible en version électronique. L’objectif est vraiment de favoriser la circulation des savoirs théoriques et des pratiques.

 

MFDS : Quels sont aujourd’hui les projets de la revue ?

RS : Développer les partenariats avec l’étranger en poursuivant le principe de numéros traduits et diffusés dans plusieurs pays à la fois. Le prochain se fera avec le Brésil et le suivant avec l’Algérie. Nous allons améliorer la qualité des résumés pour donner davantage envie aux lecteurs de lire les numéros en ayant une meilleure appréhension du contenu. Nous voulons aussi continuer le dialogue avec les autres revues qui nous semble bénéfique pour tout le monde.

Enfin, la vie d’une revue est d’abord et avant tout une aventure humaine, Jean G. Lemaire avait créé avec l’équipe de Dialogue un savoir-vivre et travailler ensemble que je veux préserver, car en plus d’être efficace, il est agréable. L’équipe s’est beaucoup renouvelée, certains qui avaient accompagné Jean Lemaire depuis le début sont toujours là, très actifs, d’autres assurent la lecture des articles dans la mesure de leurs possibilités, les nouveaux-venus vont, à leur manière, poursuivre ce travail collectif. Le projet est que Dialogue puisse continuer à occuper sa place dans le paysage des praticiens et des chercheurs qui s’intéressent à la famille et au couple.

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