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01/02/2022
Philippe Chavaroche

Autisme : si l'asilaire était de retour ?

(Ce texte est le condensé d'un article à paraître en Mars 2022 dans la revue « Institutions », revue de psychothérapie institutionnelle. revue-institutions.com)

Et si, sous couvert d'une modernité revendiquée pour les autistes avec un diagnostic issu d'un DSM V à l'objectivité enfin « scientifique » et des méthodes d'éducation infaillibles (en réalité une, ABA, qui s'auto-déclare comme étant la seule valide)... on assistait au retour de très anciennes idées que l'on croyait définitivement rangées dans les recoins les plus obscurs et aujourd'hui honnis de l'histoire de la psychiatrie et du secteur médico-social ?

Si l'asile, au sens asilaire, dans son image la plus aliénante où l'on enfermait les « fous » derrière des grands murs a certainement disparu, les conceptions qui l'animaient à l'époque restent peut-être à l'oeuvre dans nos pratiques actuelles comme le retour d'un refoulé qui referait surface, d'une résurgence de processus d'aliénations qui ne diraient pas leur nom.

Il est aujourd'hui évident que les autistes, au nom d'un préjudice qu'ils auraient subi notamment par les méfaits de la psychanalyse, doivent être au bénéfice de nouvelles approches tant sur le plan d'un diagnostic « certifié » par les CRA que sur le plan des méthodes comportementales à leur appliquer, elles-aussi « certifiées » par des officines toutes plus « expertes » les unes que les autres. C'est ainsi que nombre d'établissement médico-sociaux, enfants et adultes, se voient dans l'obligation de créer dans leur sein des « sections » spéciales pour autistes où ils seront regroupés et où on leur appliquera les méthodes sensées réduire leurs troubles et les éduquer. Ils y sont fortement incités par les autorités, ARS, HAS et par la certification autisme « Cap Handéo ». Des budgets conséquents leur sont alloués pour qu'ils appliquent ces nouvelles normes.

Seulement ces classements voulant isoler les « purs » autistes d'un « tout venant » de handicaps divers présentent des effets pervers.

Au niveau du diagnostic même d'autisme, si les critères princeps du DSM V énoncent les comportements à retenir et dont l'accumulation donnera (à coup sûr?!) un diagnostic de TSA, les initiateurs de cette nosographie, à qui il reste peut-être un peu de sens clinique, notent qu'existent à côté des ces signes « canoniques » des « co-morbidités » telles que les auto-mutilations, les états anxieux, les dépressions... etc... C'est pourquoi des autistes pourtant dûment diagnostiqués TSA, mais qui présentent des « comportements-problèmes » très perturbateurs, violence presque exclusivement, sont écartés de ces sections où ils viennent mettre à mal, voire en échec, des méthodes peut-être plus adaptées à des autistes typiques., dont le syndrome Asperger reste le modèle.

Ce classement produit un « reste », ceux qui ne sont pas diagnostiqués TSA, masse assez hétérogène de personnes atteintes de troubles divers ; neurologiques, génétiques plus ou moins identifiés, déficiences intellectuelles profondes, carences diverses, milieux familiaux dévastés ... le tout pour beaucoup dans des intrications où l'on peine à dégager un syndrome qui serait « pur » lui-aussi.

C'est ainsi que l'on voit se constituer, à côté des unités spécialisées pour autistes, plus dotées en personnels les plus diplômés, des unités où sont regroupés ces personnes pour qui il n'y a pas ou plus de projets de soins dynamiques, comme si, les méthodes comportementales étant inefficaces, « il n'y avait plus rien à faire ! » Les portes se ferment autour de ces unités, les professionnels, souvent les moins diplômés, se disent abandonnés, relégués comme le sont les personnes qu'ils accompagnent.

Cet état de fait n'est pas sans rappeler, dans l'asile ancien, les services dits de « défectologie » ou, avec les plus régressés, les unités de « gâteux ». Il est connu que c'est dans ces services que l'on entassait les patients les plus impossibles, que l'on y affectait pour les punir les personnels indésirables dans les autres services... Toute comparaison gardée, ce sont bien les même idées qui sont sous-jacentes dans cette politique de l'autisme, celle qui justifie que l'on privilégie des personnes au détriment d'autres, jugées moins intéressantes, celle qui suggère que la cohabitation entre des plus atteints pourrait être préjudiciable à des moins atteints et freiner leur évolution comme si leur état était contagieux. On retrouve aussi dans ces sections le retour des « maisons de santé » des hôpitaux psychiatriques, souvent luxueuses, qui accueillaient des patients payants dont les familles fortunées, avaient les moyens de subvenir aux frais de séjour. Si ces services n'existent plus aujourd'hui, on retrouve la même présence des familles et de l'argent. Par le lobbying qu'elles exercent auprès des pouvoirs publics, des dotations financières plus importantes sont accordées à ces sections.

L'hégémonie des théories comportementales a également une conséquence qui n'est pas sans rappeler l'asile, celle de priver les professionnels de toute possibilité de penser, les réduisant à n'être que de simples exécutants. A l'hôpital psychiatrique, c'était la figure du médecin, à la fois mandarin et chef au sens militaire du terme, qui s'imposait comme étant celui qui « sait » et qui ordonne. Les personnels n'avaient pas leur mot à dire sur des patients qu'ils connaissaient pourtant très bien puisque partageant leur vie quotidienne.  Aujourd'hui c'est la figure de « l'expert », du CRA, de l'HAS et celui des méthodes comportementales qui impose une vérité qui n'est pas contestable. Il n'est pas permis aux professionnels de questionner un diagnostic qui ne correspond pas à la clinique qu'ils côtoient journellement et encore moins de remettre en cause des méthodes qu'ils doivent appliquer mécaniquement, ceci à grands renforts de formations-formatages fort coûteuses !

On sait que le mouvement de « psychothérapie institutionnelle » (jugée non conforme pour les autistes par la HAS!) a permis une profonde transformation de ces lieux de relégation et qu'elle a redonné la parole aux soignants. A quand, en lieu et place du retour de l'asile, un retour de cette dynamique ?


photo de Philippe CHAVAROCHE

Philippe Chavaroche a été chef de service en mas. Docteur en sciences de l'éducation, il est formateur de travailleurs sociaux, intervenant en établissements médico-sociaux pour des formations et analyses des pratiques. Il a publié aux éditions érès des ouvrages sur l'accompagnement des personnes handicapées mentales qui constituent des références pour les professionnels : Travailler en mas (2002, NE 2020), Le projet individuel (2006, rééd. 2014), L'accompagnement des adultes gravement handicapés mentaux (2012, rééd. 2019), Dictionnaire critique de l'accompagnement médico-social (2017), Où va le médico-social ? (2021) ainsi que de nombreux articles sur le même sujet.

 


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