Retour à la liste
20/12/2023
Rozenn Caris, avec Dominique Besnard, Jean-François Gomez, Jean-Pierre Martin et Joseph Rouzel

Il n’est pas possible de rester dans l’indifférence

À l’heure où s’écrivent ces lignes, c’est l’été, les vacances. Canicule et températures extrêmes dans le sud de la France, le Sud-Ouest… Pour ceux qui ne sont pas au bord de la mer, et même au travail, les employeurs ressortent les directives en cas de chaleur excessive, ventilateurs, eau… on tente de survivre, à notre manière. Sans oublier les 40 % qui ne partent pas en vacances. Des milliers de gens, fuyant la grisaille des villes, les appartements exigus, sont partis vers des espaces plus vastes : le camping, la randonnée, la montagne, les plages.
C’est bien l’été à la mer : l’air frais, les plages, les grands espaces, les balades en mer, au sud ou au nord de la France, châteaux de sable pour les enfants, farniente pour les adultes, soirées festives… Porquerolles, Porto-Vecchio, Le Touquet, La Baule, Belle-Île-en-Mer, Cap Blanc Nez. Pour certains, ces plages de rêve sont à l’étranger : pour un modique billet d’avion, on traverse les frontières pour aller bronzer à Majorque, Corfou, les Maldives… de quoi se faire de beaux souvenirs, plus ou moins partagés sur les réseaux sociaux, société hyperconnectée oblige.
Mais il y a d’autres plages, en Méditerranée, en mer du Nord, où là aussi des gens fuient. Eux, ils fuient la misère, les violences, un État totalitaire. On est loin des congés payés et des chèques vacances. Loon-Plage, Sangatte, les îles grecques, la Tunisie, l’Italie, des bateaux partent, certains arrivent, à des prix exorbitants, avec des conditions de passage insoutenables, des dangers immenses. Ils sont parfois en famille, ne savent pas nager, ont tout quitté pour tenter leur chance et risquent tout, y compris leur vie. Les Nations unies ont recensé 441 décès au premier trimestre 2023, rien qu’en Méditerranée, en précisant que ce chiffre est certainement sous-évalué1.
Et pour celles et ceux qui en réchappent, combien de souffrances révélées et de traumas enfouis qui resurgiront tôt ou tard, notamment chez les enfants.
Que dire de ces gens qui dorment sous des tentes sous les ponts de Paris ou dans les dunes de Flandres ?
Bien sûr, des courants politiques entretiennent la haine et le rejet de ces dits « migrants » et peut-être futurs « immigrés », allant même jusqu’à parler il y a quelques années de « tourisme social », termes repris encore aujourd’hui par certains individus. On ne saurait mieux dire le refus d’une politique d’accueil et ses clins d’œil électoralistes à ceux qui votent pour une droite qui s’assimile à l’extrême droite.
Autrement, on en parle peu : des lieux d’hébergement ferment, les conditions d’accueil et d’instruction des dossiers semblent inhumaines. Les accords de Dublin sont remis en question, un nouveau « pacte européen sur la migration » est à l’étude depuis 2020.
Cela suffira-t-il à endiguer la déshumanisation ?
Le 18 juillet à Boulogne2… des migrants ont sauté à la mer pour rejoindre un taxi boat3 qui les attendait, sur une plage touristique, en plein jour. Les images, là encore, ont fait le tour des réseaux sociaux et provoqué beaucoup d’émotion chez les témoins, qui, eux, étaient là en vacances. Deviendront-ils bénévoles dans ces nombreuses associations ou collectifs solidaires qui participent à réhumaniser le quotidien de ceux qui attendent dans cet entre-deux, entre un pays abandonné et une destination incertaine ? Participeront-ils à tenir un autre discours à propos des exilés ? Oublieront-ils ?
Eux, ils ont vu des hommes et des femmes. Des visages.
Ces femmes, ces hommes, ces enfants, les travailleurs sociaux aussi les connaissent, les accompagnent au mieux dans le quotidien et dans les méandres administratifs. Pris entre le marteau (l’éthique, sans laquelle on perd son âme) et l’enclume (des politique sociales), ils sont les premiers à dénoncer les temps d’attente, le manque de places, la situation des enfants. Ils sont confrontés à la dureté de ce que ces gens ont vécu, et vivent encore, ici.
Il n’est pas possible de rester dans l’indifférence.

 

Rozenn Caris,
avec Dominique Besnard, Jean-François Gomez,
Jean-Pierre Martin et Joseph Rouzel

 

 

1. https://news.un.org/fr/story/2023/04/1134157

2. https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/departs-de-migrants-depuis-les-plages-le-prefet-du-pas-de-calais-annonce-des-renforts-contre-les-taxi-boat-7574923

3. Bateau, souvent pneumatique, attendant les migrants au large des côtes.


photo de Rozenn CARIS

Rozenn Caris est éducatrice spécialisée, formatrice en travail social et santé mentale. Elle est rédactrice en chef de VST depuis 2019, rédactrice en chef de DELIE (publication Web des Cémea) ainsi que chargée de mission travail social, santé, psychiatrie à l'association nationale des Cémea.

Lire l'entretien avec l'autrice


Commentaires (0)

Vous devez vous connecter pour poster un message !