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04/03/2021
Roland Chemama

La revanche de Ferenczi

Les spectateurs de la série En thérapie qui savent un peu ce qu’est la psychanalyse peuvent avoir le sentiment que ce qu’elle montre est très éloigné de ce qui constitue l’essentiel de notre pratique. S’ils en savaient un peu plus (et peut-être la série elle-même leur donnera envie de s’y intéresser davantage), ils pourraient en venir à une appréciation plus nuancée. Que penser en particulier du personnage de Philippe Dayan, l’analyste de la série ? Est-il complétement irréaliste ?

Je dirais plutôt qu’il évoque un courant qui a existé dans l’histoire de la psychanalyse. Ce courant, incarné par un des premiers disciples de Freud, Sándor Ferenczi, n’est pas très connu des profanes. Sans doute est-ce parce que la psychanalyse officielle, marquée par l’apport de Freud et de Lacan, ne se reconnaît pas dans ce disciple original, dont l’histoire a fait un hérétique. Il fut ainsi attaqué, puis oublié, et lorsqu’on l’évoque c’est souvent  de façon condescendante. Il faut dire que sa pratique n’avait rien d’orthodoxe. Mais l’analyste a-t-il à être orthodoxe ?

Ferenczi ne cessa d’inventer, parce qu’il ne se résignait pas aux demi-succès. Il introduisit une « technique active » qui consistait, au fond, à demander au patient d’affronter ce qui lui faisait le plus difficulté, afin de mieux pouvoir l’analyser. Il tenta même l’analyse mutuelle où l’analyste changeait sa place avec celle de son patient lorsqu’il avait l’impression qu’il était essentiel de laisser voir à celui-ci ses propres déterminismes inconscients, en tant que ceux-ci pouvaient faire obstacle à l’avancée du travail.

Il abandonna d’ailleurs assez vite ce dernier dispositif, dont on trouve un écho dans la série, avec la patiente adolescente. En revanche il fit adopter par le mouvement psychanalytique l’idée que l’analyse de l’analyste était celle qui devait être poussée le plus loin. La reprise de cure à quoi Philippe Dayan se trouve conduit s’inscrit tout à fait dans cette dimension.

Enfin l’implication forte de son désir de thérapeute le mena sans doute à laisser davantage passer quelque chose d’une affectivité peu contrôlée. Cela ne va pas sans risque, celui, comme on dit, de faire « flamber » le transfert. Mais en même temps, dans nombre de cas, seul cet engagement est susceptible de faire bouger les choses.

 

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photo de Roland CHEMAMA

Roland Chemama, psychanalyste à Paris, ex-président de l’Association lacanienne internationale.

 


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