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08/04/2022
Mathilda Audasso

La série entérine-t-elle des assignations discursives de genre et de race ?

"[...] Être médiatiquement enthousiastes ne revient pas à passer sous silence ce qui, selon moi, demeure un vrai problème politique de la série." M. A.

            J’ai commencé à regarder la série En thérapie dès sa sortie et, comme je crois beaucoup de psychanalystes, me tenant sur mes gardes, j’étais prête à débusquer chaque truisme éculé. Puis, je me suis adoucie et laissée séduire par une représentation cinématographique de la psychanalyse pas si poussiéreuse et dont le didactisme n’alourdissait pas (trop) la qualité du scénario. Et puis pour tout dire, nous n’allons pas faire la fine bouche face à une série qui, en 2021, redonne à la psychanalyse une fonction sociale et un imaginaire de proximité. Cependant, être médiatiquement enthousiastes ne revient pas à passer sous silence ce qui, selon moi, demeure un vrai problème politique de la série.

            Indépendamment du caractère absolument bourgeois de la série que tout le monde aura remarqué et dont il reste évidemment à faire la critique, je souhaiterais m’attarder sur la distribution de la parole de chacun des personnages.

Chaque épisode met en scène une séance (qu’elle soit dite thérapeutique, ou de supervision) et les récits qui s’y déploient ne relèvent absolument pas des mêmes espaces, découpés selon des régimes de paroles spécifiques que nous identifions comme genrés et racisés. Que ce choix soit arbitraire, laissé à la responsabilité de chaque réalisateur.rice qui ont en charge le « suivi » d’un patient.e, à une orientation infléchie par les créateurs, ou bien à un simple angle mort traduit dans tous les cas une représentation politique où les « femmes » pourraient s’emparer de leur subjectivité à partir d’une intériorité, tandis que le monde (origines sociales, considérations politique avec un grand « P » etc.) demeurerait comme une entité extérieure. Certes, Ariane, Camille, Léonora, Esther, Lydia, Claire habitent le monde, circulent dans les rues parisiennes post-attentat ou post-confinement, elles livrent en séance un récit d’affects et de contradictions qui subit bien-sûr les assauts du terrorisme, du déterminisme social, de la maladie... Mais, toujours, leurs conflits psychiques apparaissent comme des mouvements pulsionnelles au-dessus ou à côté du monde, déterminés par une « histoire personnelle », et la série semble reprendre cette drôle de remarque de la superviseure (Carole Bouquet) lorsque Dayan reprend RDV et déballe sa colère en lui confiant s’être réveillé après les attentats : « Philippe, tu confonds tout ». On voudrait lui rétorquer : « Et l’inconscient, alors, il se trouve où ? ».

            Les hommes, Dayan le premier, Damien, Adel, et Alain (nous laissons l’enfant Robin de côté), sont certes plus rétifs au dispositif psychanalytique, plus offensifs, et donc a priori moins perméables au principe d’association libre, pourtant, leur conflictualité psychique, leur « vie personnelle » s’arriment directement dans le monde. La manière qu’ils ont de se raconter utilise une grammaire qui leur est offerte par un environnement (social, mondial) dont leur subjectivité est certes probablement tout aussi aliénée que celles des « femmes », à l’exception que la série choisit de représenter une discursivité masculine qui semble en saisir plus immédiatement l’immanence.

            Et Inès ? Sa parole trouve en effet un statut d’exception et rejoint en un sens l’intelligibilité masculine. Son symptôme s’énonce d’emblée à l’endroit d’une ambivalence socio-géographique. Elle décline dès la première séance ses origines : née à Bondy, famille malienne plutôt traditionnelle, 3 frères dont un seul semble enclin à l’écouter… A l’instar d’Adel, il semble que pour les personnages racisés, le déterminisme social et l’histoire post-coloniale soient des agents qui écrivent leur récit à même leur singularité inconsciente. Nous serions même tentés d’interpréter le traitement cinématographique d’Inès et d’Adel comme trahissant des rejetons (inconscients?) post-coloniaux... Nous nous arrêterons simplement sur cette remarque : pourquoi les personnages ne bénéficient-ils pas de cette présentation de leur vie « intérieure » ?

Pourquoi l’Histoire, le Monde sont laissés aux hommes ou aux patient.e.s racisé.e.s ?

Nous attendons alors une troisième saison où la distribution des imaginaires inconscients saurait s’affranchir des découpages dictés par une rationalité politique qui entérine des assignations discursives de genre et de race...


photo de Mathilda AUDASSO

Mathilda Audasso est psychanalyste et doctorante à l'Université de Paris.


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