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10/02/2021
Thierry Roth

Talking-cure

En 1895, la patiente Anna O. poussait Freud à renoncer à l’hypnose pour se consacrer à l’association libre, et nommait elle-même ce travail « talking cure ». La série « En thérapie », cherchant à illustrer les séances d’un analyste avec ses patients, fait déjà beaucoup parler, y compris les psychanalystes et leurs analysants ! C’est donc probablement une réussite, même si la psychanalyse y est un peu déformée ou caricaturée.

Bien sûr, le Dr Dayan parle beaucoup, explique beaucoup, interprète beaucoup, cela étonne un peu le spécialiste (même si c’était le cas de Freud à ses débuts). Certes, le divan a bizarrement laissé place à un canapé sur lequel les patients préfèrent manifestement s’assoir plutôt que s’allonger. Évidemment, le thérapeute semble souvent bousculé du fait de son absence relative de cadre et de distance, ce qui donne lieu à quelques scènes cocasses. Inévitablement des clichés émergent afin de rendre la série plus attractive pour un large public. Il y aurait donc quelques réserves à opposer aux brillants réalisateurs… Pourtant, puisqu’il est impossible de rendre compte d’une psychanalyse à travers une série télévisée, on peut donc dire que « En thérapie » échoue logiquement, mais d’assez peu... Le programme parvient même à rendre compte de quelques éléments fondamentaux d’une psychanalyse ou d’une psychothérapie.

Ainsi, le lieu du cabinet est très bien repéré comme un lieu à part, celui d’une possible « parole pleine » (Lacan), presqu’un sanctuaire où la parole résonne autrement. Les dialogues réservent quelques belles pépites démontrant les difficultés inhérentes aux rapports entre des sujets parlants et sexués. Ils parviennent même parfois à attraper comment l’inconscient peut surgir, le sujet disant toujours plus et autre chose que ce qu’il croit. Enfin, la dimension transférentielle est particulièrement bien rendue, avec son lot de tensions, provocations, séductions, méfiances, résistances, passions...

C’est ici d’ailleurs que l’on peut parfois s’étonner de voir Philippe Dayan un peu passif voire dépassé, quand il autorise par exemple ses patients à interrompre régulièrement leur séance pour aller aux toilettes en plein milieu, à utiliser leur téléphone pendant la consultation ou à décider de sa fin… Ou encore quand il laisse une jeune femme en plein transfert amoureux quitter la position allongée pour un « face à face séducteur » visant à répéter des déclarations d’amour qui manifestement troublent d’autant plus notre praticien… Que dire aussi de sa proposition de prêter à une jeune patiente trempée par la pluie des vêtements de sa propre fille, plutôt qu’une simple serviette ? Bref, sa direction de la cure vacille un peu, mais qui a dit que la direction de la cure était chose aisée ?


photo de Thierry ROTH

Thierry Roth est psychologue clinicien et psychanalyste à Paris, président de l’Association lacanienne internationale (ALI). Il a publié de nombreux articles ainsi que le livre « Les affranchis » (érès, 2020).


 


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