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06/02/2022
Patrick Ben Soussan

Caché ! - Corinne Dreyfuss

J’enrobe ta peau de mots beaux

 

 

Lisez Caché ! avec votre tout-petit, « le 1er roman des bébés », comme l’affirme le bandeau rouge sur la couverture, très pop, de ce tout-cartonné orange fluo, au format rectangle à la française, qui joue si subtilement sur tous les codes connus des adultes : page de titre, longue préface, chapitrage, pagination, tout y est. Avez-vous remarqué comme il regarde votre visage, puis le livre – vous appelez cela un livre, mais il n’en sait rien encore –, il passe de l’un à l’autre, comprend qu’il y a là un lien de causalité entre vos yeux qui parcourent « la page », les petites marques qui y figurent et… votre voix. Il ne sait pas encore que vous lisez le livre mais il va le comprendre prestement, comprendre que les mots, accrochés au papier, silencieux, peuvent être écoutés, comprendre que ce que ses oreilles capturent à l’instant, ce sont ces mots libérés du papier, et que cela s’appelle lire. Il est au spectacle, il regarde, votre bouche, les taches sur le papier, il écoute la prosodie, les intonations, le rythme, il est sous le charme. Il veut lire – il ne sait pas encore ce que lire veut dire, mais il veut ça, revivre ça, cette expérience, cette fête, cette débauche des sens ; il va apprendre à lire pour ça, vous retrouver. « Savoir que l’écriture… est précisément là où tu n’es pas », écrivait Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux. Il ne manquera pas d’appétit, vorace, d’un goût, passionné, pour les lettres (Ah, les pâtes alphabet !).

Vous l’avez constaté, cela vous a peut-être même dérouté au premier contact, ce livre ne contient pas d’images, uniquement des mots, imprimés en noir sur fond blanc. Et c’est bien l’invention de cet album – il existait des albums sans texte mais des albums sans images, alors là ! – que d’utiliser les mots comme des images. Des mots, des chiffres, des ponctuations, des phrases envahissent l’espace, contaminent la page, la structurent ou la brouillent littéralement, ils louvoient, s’emberlificotent, se culbutent. Ils créent un texte là, sous les yeux ébahis, séduits de l’enfant, et puis la fois d’après, et après encore, pour lui rappeler que les mots de la page, du livre, les mots lus par la mère, le père, la sœur, le papi, l’assistante maternelle ou la puéricultrice, tous ces mots fomentent un incroyable univers de couleurs, d’émotions, de sensorialité, de musique, qui lui est offert à bouche que veux-tu.

Corinne Dreyfuss a écrit ce roman sans sûrement accorder d’importance à ce que, à l’origine, l’écriture était le langage de l’absence : le livre convie aux retrouvailles. Bien avant d’aller à l’école, très tôt, dès la fin de leur première année, les tout-petits adorent jouer au coucou-caché. Ils expérimentent ainsi la permanence des choses et des autres, intériorisent de manière sécurisante la séparation puis l’absence. Elle a voulu écrire un livre pour tout-petits qui ne soit pas un album, un livre avec des images, des photos, des illustrations, mais un livre à texte. Un livre qui préfère à la muette immobilité des images la folle danse des mots, plus à même de dire la vie, les enfants qui crient, jouent, bougent, se chamaillent…

https://www.laprovence.com/media/hermes/2015-09/2015-09-20/20150920_1_6_6_1_0_obj9869994_1.jpg

Mais lisez quand même aussi son Pomme, Pomme, Pomme, paru en 2015 chez Thierry Magnier, prix Sorcières et prix Pitchou, un petit cartonné de 15 sur 20, qui dit en trois mots et quelques images ce qui nous traverse tous, sous le mythe de la pomme croquée : la vie va et elle est à croquer, à pleines dents.

À propos du livre

Corinne Dreyfuss

Thierry Magnier

2017

13 x 22 cm – 60 pages


photo de Patrick BEN SOUSSAN

Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre. Il a exercé pendant vingt-cinq ans à l'institut Paoli-Calmettes, Centre régional de lutte contre le cancer Provence-Alpes-Côte-d'Azur à Marseille, où il était responsable du département de psychologie clinique.


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