Prendre et donner - Lucie Félix

En quelques livres et encore moins d’années, Lucie Félix a totalement renouvelé le monde du livre animé à destination du tout-petit. Deux yeux ? (2012), Après l’été (2013), Coucou (2018) ou encore Hariki (2019), chaque ouvrage nouveau est venu confirmer son talent – on ne compte plus les prix qu’elle a reçus ! Chacun de ses albums est en somme un petit dispositif à la fois expérimental, narratif et poétique. Et son petit lecteur en est toujours le personnage principal : c’est qu’il devra manipuler, pousser, tirer, jouer avec les couleurs, les formes et la lumière, observer, associer, déduire, imaginer. Les livres de Lucie Félix se lisent avec les mains, le corps, la pensée, mais plus encore, ils se construisent au fur et à mesure avec et grâce à leurs petits lecteurs, qui doivent explorer, chercher, comprendre, agir sur cet objet étrange et qui s’anime alors, faisant découvrir image et récit, entre surprise et émerveillement.   

Prendre et donner est un solide cartonné, une sorte d’imagier des contraires – on y lit apparaître-disparaître, allumer-éteindre, disperser-réunir..., et aussi bien sûr, prendre-donner –, mais il est également bien plus que cela. Sur de grands aplats de couleurs, des formes, détachables, un rond, un carré, un losange, des triangles, permettent aux tout-petits d’expérimenter de subtiles combinaisons : on en déboîte une sur une page et on l’insère dans un nouvel emplacement à la page suivante ; ce faisant, on révèle, complète, masque quelque chose. Un carré coupé en deux forme les toits de deux maisons, un rocher devient un nuage... Cet album singulier, entre imagier et jeu, ce livre-puzzle, plein d’inventions, permet d’apprendre par le jeu : manipulation et observation, invention et découverte, le tout au service de l’échange et du plaisir partagé !

Lire avec un tout-petit est un art vivant, et c’est le tout-petit qui est ici acteur à part entière de cette aventure commune : l’espace du livre est une scène, que l’enfant crée et défait à l’envi. C’est cette liberté, malicieuse, prêtée à l’enfant petit qui est jouissive. C’est lui accorder confiance, crédit, c’est lui dire, tu peux toucher, tu dois toucher même si tu veux y comprendre quelque chose à ce livre, c’est l’autoriser, l’engager à réfléchir, penser, se rappeler, inventer. C’est consentir à ce qu’à partir de ce que nous désignons comme de simples formes géométriques, il puisse créer son monde et se créer lui-même.

C’est cela qu’a si bien compris Lucie Félix ; un livre que l’on touche ne peut que nous toucher. Et quelle sensible allégorie, ne trouvez-vous pas, prendre et donner, à l’adresse d’un tout-petit : « Prends la vie que je t’ai donnée, saisis-t-en et crée ton histoire ! »