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03/02/2022
Patrick Ben Soussan

Tout un monde - Antonin Louchard et Katy Couprie

Le monde marche à l’envers

 

Un grand pédiatre et psychanalyste anglais – tous ceux qui accueillent ou soignent des petits enfants le connaissent, non parce qu’il a un prénom de canard célèbre, Donald, mais parce qu’il a révélé, entre autres notions très sérieuses, toute l’importance de ce « doudou » que chérissent bigrement nos-tout petits –, Donald W. Winnicott donc, retenait trois grandes dimensions dans les soins donnés par la mère à son jeune enfant : le holding, soit le portage, à la fois physique mais aussi psychique (tenir, contenir son enfant) ; le handling, soit la réalité même de ces soins du quotidien donnés à l’enfant ; et l’object presenting, soit la façon qu’a la mère (mais d’autres disent la mère et le père) de présenter le monde à son bébé (d’autres disent qu’est ainsi fait à l’enfant le don du monde et de tout ce qu’il signifie).

C’est bien ce que réalise Tout un monde : présenter le monde aux tout-petits. Cet album sans texte en est un incroyable inventaire, hétéroclite, bidouillé à travers une multitude d’images : gravures, peintures, dessins, photographies, collages, papier mâché, monotypes, eaux-fortes, reproductions numériques... Vous pouvez le regarder dans n’importe quel sens et dans n’importe quel ordre, « le monde en vrac », vous rappelle la quatrième de couverture. Mais, si vous vous souvenez de la comptine « Marabout, bout-d’ficelle, selle de cheval... » – vous préférez peut-être la version « Trois p’tits chats, chapeau de paille, paillasson, somnambule ... » ? – vous remarquerez que cet album est traité sur le même « air »,  chaque image étant en lien avec celle qui la précède et celle qui la suit. Katy Couprie et Antonin Louchard proposent aux tout petits lecteurs un monde où tout s’ordonne et où des liens se tissent entre toutes choses, des liens évidents, d’autres plus subtils, certains rigolards, d’autres incongrus.

C’est que cet album n’est pas vraiment un imagier, vous savez, ces livres qui sont censés « montrer le monde et le nommer », en associant une image et un mot : des supports un brin ludiques en somme, pour accompagner « la conquête du vocabulaire » et la « reconnaissance du réel ». Non, cet album-là va infiniment plus loin. Il est l’un des premiers à rendre explicite ce que les psychologues du développement ont appelé la « transmodalité », c’est-à-dire l’aptitude à transférer des informations d’un mode sensoriel à un autre. Quand, en parcourant les 250 pages de Tout un monde, un tout-petit tombe sur la photo d’un pré, il ne fait pas que « voir » un pré, il sent l’odeur de l’herbe, il ressent ses picotements sur ses jambes, il imagine le vent qui la soulève. Quand, dans les images suivantes, il « voit » une barbe masculine, il la voit, certes, mais il la ressent aussi, elle gratte, elle pique, le petit enfant associe le pré, l’herbe, la barbe. Tous les sens sont liés, vision, sensation, odeur, toucher, tout se mêle, donnant une forme, un contour qui n’est pas que « visible », qui est vivant.

L’art de Couprie et de Louchard est bien là, rendre le monde vivant et sensible.

Tout un monde a reçu le prix Sorcières (tout-petits) ainsi que le prix Pitchou.

À propos du livre

Katy Couprie, Antonin Louchard

Thierry Magnier

1999

15 x 15 cm – 256 pages


photo de Patrick BEN SOUSSAN

Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre. Il a exercé pendant vingt-cinq ans à l'institut Paoli-Calmettes, Centre régional de lutte contre le cancer Provence-Alpes-Côte-d'Azur à Marseille, où il était responsable du département de psychologie clinique.


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