Aloïs, oublie-moi ! par Christian Gallopin


Il ne se passe pas une semaine sans que surgisse sur ma messagerie une offre alléchante m’enjoignant d’investir dans un projet immobilier d’EHPAD (établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes) pour un rapport annuel « à deux chiffres » me promet-on parfois ! [...]

Tout au moins de 6% m’assure-t-on. Au-delà de l’effet d’attraction – surévalué à dessein − voulu par les marchands d’argent, que peuvent bien signifier ces offres mirobolantes ? Car, nous le savons tous, les maisons de retraite sont trop chères ; leur coût mensuel est, en moyenne, bien supérieur au revenu moyen des retraités… Ce qui constitue en soi une quadrature du cercle qui ne semble pas affoler les décideurs. Alors, comment expliquer cette rente « magique » pour les investisseurs alors que les vieux peinent à payer leurs hébergements ? Quelle poche est alimentée par la poche percée des personnes âgées dépendantes qui n’en finissent pas d’y mettre leur misérable retraite, la vente de la voiture – devenue trop dangereuse –, la vente de la maison que l’on ne peut de toute façon plus habiter – devenue trop dangereuse elle aussi –, les derniers reliquats du dernier compte en banque ?

Chez nos voisins allemands – mais ailleurs également –, on évoque ces familles qui « exportent » leurs vieux – comme on délocalise une entreprise trop peu rentable – vers la Tchéquie, la Slovaquie ou même la Thaïlande, là où les structures d’hébergement sont moins chères… De ce fils à qui on demandait s’il n’était pas chagriné d’envoyer son père dans une maison tchèque où personne ne parlait sa langue, la réponse tomba, toute naturelle : « mais ça n’a pas d’importance puisqu’il est Alzheimer ! » Tout cela manque cruellement de cette humanité dont nous nous gargarisons à chaque coin de rue fréquentée par Charlie.

A côté de « l’export », il y a peut-être encore une autre manière de chercher à diminuer les coûts et multiplier les dividendes : la robotisation. Sous couvert d’être In, d’être à la pointe, et dans la même veine que ces maisons « intelligentes » (sic !) qui nous filmeront et nous écouteront jusque dans les toilettes – un véritable Water-gate ! –, mais pour notre bien, pour prévenir en cas de chute, il y a maintenant Aloïs. Aloïs[2] est un robot digne de La guerre des étoiles, « au service » du personnel et des résidents nous dit-on. Non pas qu’il faille penser que les personnes âgées soient incapables de s’acclimater aux nouvelles technologies, nombre de seniors, seuls ou en associations, n’ont pas attendu pour s’organiser et appréhender les possibilités des ordinateurs, tablettes, iPad et autres véhicule internet. Non, il ne s’agit pas ici de refuser le monde de demain déjà là aujourd’hui, celui des flux d’informations, celui aussi de la robotique et autre domotique. Il s’agit plutôt de s’interroger sur la fonction profonde, avouée ou non, de notre robot Aloïs. Si Aloïs est là comme un outil de plus, quoiqu’un peu différent, permettant aux quelques personnes en capacité de taper sur son écran tactile de connaître la météo du lendemain ou de suivre l’information du  jour, pourquoi pas ! Mais méfions-nous qu’Aloïs ne soit pas là pour remplacer tout à la fois l’aide-soignant(e) et l’infirmier(e) trop onéreux… Méfions-nous qu’Aloïs ne soit pas là pour faire de l’humain à la place de… Car « Aloïs apparaît comme un réel compagnon pour les résidents, tant pour rompre la solitude ou l’ennui que pour assurer une surveillance »[3] nous dit une soignante… Aloïs, pour mimer ces personnes qui coûtent trop cher, et qui font que le résident peine à payer et que l’investisseur peine à gagner.

Désormais, je peux bientôt espérer recevoir sur ma messagerie une offre d’investissement en EHPAD encore bien plus avantageuse que celles qui m’inondent déjà depuis quelques années.

S’il en était ainsi, adorateurs d’Aloïs Alzheimer, oubliez-moi ! Et de grâce, coupez cette caméra, coupez ces micros et, « laissez-moi tomber ! » Que vienne plutôt à mon chevet un homme ou bien une femme, pour que nous soyons, ensemble, en humanité. Et, qu’on m’aide – si je ne peux le faire seul − à me connecter sur skype afin que je puisse parler et voir mon fils ou ma petite-fille, qui habite à Sydney, à Manille ou ailleurs… Les outils ne sont ni bons, ni mauvais, mais entre les mains des hommes.

                                   Alors, ouvrons l’œil !

 

                                   Christian Gallopin, juillet 2015

 

[1] Etablissement d’Hébergement pour Personne Agée Dépendante

[2] Projet mené en partenariat avec le Living Lab  ActivAgeing (LL2A) de L’Université de Technologie de Troyes (Aube)

[3] Cosmopital, L’info du Centre hospitalier de Troyes, N°12, 3eme trimestre 2015, p. 7.

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