Pacale Janot, Danièle Faugeras, Tayebeh Hashemi et Jean-Restom Nasser


Rencontre organisée le 16 avril 2010
à l'Ecole supérieure d'interprètes et de traducteurs de Trieste

 


rencontreAvec Pascale Janot, lectrice de langue française à l’université de Trieste, traductrice de poésie et de textes spécialisés ; Danièle Faugeras, traductrice de textes spécialisés en psychiatrie et psychanalyse, de poésie, poète elle-même. Elles dirigent ensemble la collection « PO&PSY » aux éditions érès ; Jean-Restom Nasser, ancien comédien, et Tayebeh Hashemi, iranienne vivant en France, tous deux traducteurs de poésie persane (Volume vert de Sohrâb Sepehri, éd. de L’arbre, 2008 ; et Havres de Abbas Kiarostami, érès, 2010).
 

 

Pascale Janot : Il nous a semblé intéressant d’axer la rencontre d’aujourd’hui sur la présentation de ce qu’il y a eu en amont de la parution du recueil de poèmes d’Abbas Kiarostami Havres, nouveau titre de la collection « PO&PSY » que nous avons créée, avec Danièle Faugeras. Nous exposerons donc la façon dont s’est construit le projet de traduction du recueil, en partant du cadre éditorial, à l’intérieur duquel il s’estcollection po&psy constitué, jusqu’au travail concret de traduction. Ce projet de traduction, qui a impliqué deux puis quatre personnes (dont deux ignorantes du persan), se trouve à la jonction de deux champs culturels, l’Orient et l’Occident. Il est le fruit d’une rencontre avec un poète qu’on pourrait dire « intégral » puisque ses trois modes d’expression – écriture, photographie, cinéma – témoignent d’un même rapport poétique à la vie et au monde.
 

Quand l’aventure a-t-elle commencé ?

Nous traduisons de la poésie à quatre mains, avec Danièle Faugeras, depuis maintenant cinq ans. En 2006, alors que nous venions de livrer notre traduction du recueil de Patrizia Cavalli (poète italienne contemporaine), Mes poèmes ne changeront pas le monde, aux éditions des Femmes, le désir nous est venu de créer une « petite collection de poésie » – petite par le format et le coût, et aussi par son parti pris pour les formes brèves, mais grande par son « spectre » et sa qualité – susceptible, donc, de faciliter l’accès à la poésie à un lectorat peu familiarisé. C’est alors, à l’occasion d’un congrès psy où j’accompagnais nos deux amis italiens auteurs de la biographie de Franco Basaglia (érès, 2006) que, bavardant avec Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre, nous avons lancé, comme une douce utopie : « Et pourquoi pas une collection de poésie chez un éditeur spécialisé dans les sciences humaines ? » Utopie, certes, quand on connaît l’organisation plutôt cloisonnée de la diffusion éditoriale et la non rentabilité de l’édition de poésie… Mais nous pressentions, sans doute, que nous pouvions compter sur l’ouverture et le courage d’érès, sur la passion de sa directrice pour la littérature en général et la poésie en particulier, et sur les liens amicaux de confiance et de respect mutuels noués entre Danièle et Marie- Françoise au cours de longues années de collaboration.
 

Danièle Faugeras : Ce n’était pas totalement gagné, car il nous fallait convaincre les distributeurs et les lecteurs d’érès. Sigmund Freud est venu à notre secours dans notre travail de conviction : « Les poètes, a-t-il écrit en effet, sont de précieux alliés et il faut placer bien haut leur témoignage, car ils connaissent d’ordinaire une foule de choses entre le  ciel et la terre dont notre sagesse d’école n’a pas encore la moindre idée. GuillevicIls nous devancent beaucoup, nous autres hommes ordinaires, notamment en matière de psychologie, parce qu’ils puisent là à des sources que nous n’avons pas encore explorées pour la science. » Alors pourquoi un éditeur de sciences humaines, soucieux de « l’amélioration de la condition humaine » de ces « hommes ordinaires » dont parle Freud, devrait-il se priver de publier des textes contribuant à ce but ? C’est sous ces auspices que notre collection a démarré !
 

Pascale Janot : Naître et exister auprès d’un éditeur spécialisé supposait de se donner d’abord un nom adéquat, « PO&PSY », et d’élargir notre espace d’accueil dans un souci de diversité et d’ouverture servi par notre passion commune pour la traduction. Dès la première série de trois recueils parus en 2008 (Paolo Universo, La ballade de l’ancien asile ; François Migeot, Lenteur des foudres ; Kobayashi Issa, Pas simple en ce monde d’être né humain), le parti était pris de « risquer » chaque année un poète peu connu ou n’ayant encore jamais publié, « encadré » par deux auteurs déjà célèbres. C’est donc le cas aussi cette année avec Nadine Cabarrot (Deltas) accompagnée par Guillevic (Ce sauvage) et Abbas Kiarostami (Havres). Mais peut-être faudra-t-il, pendant quelques années, « miser » sur des poètes déjà reconnus, afin de bien implanter la collection, avant de poursuivre nos prospections.
 

 

Comment s’est faite la rencontre avec Abbas Kiarostami ?

Danièle Faugeras : Par hasard, comme la plupart des rencontres liées à ce projet « PO&PSY » ! Nous sommes toujours à la recherche de « brefs », comme nous disons entre nous, et nos lectures de poésie sont fortement influencées par cette recherche de potentiels auteurs « po&psiens ». Un jour, je suis tombée sur les deux recueils de poèmes d’A.K. traduits en français, Avec le vent et Un loup aux aguets. J’ai aussitôt « alerté » Pascale. Emballées toutes les deux par la forme et le contenu, nous avons sur le champ contacté Kiarostami par mail (une amie de Pascale, travaillant dans le milieu du cinéma, nous a communiqué son adresse) en lui demandant de nous confier des inédits, ce qu’il a fait sans hésiter. Restait ensuite à trouLe goût des cerisesver un traducteur. Devant les tarifs exorbitants des traducteurs des précédents recueils, nous avons bien failli laisser tomber. C’est alors – nouveau hasard – qu’une amie psychiatre m’a parlé de sa rencontre avec un jeune homme féru de civilisation persane qui venait de traduire un poète iranien contemporain… Très vite nous avons eu l’accord de Jean- Restom et Tayebeh.
 

Pascale Janot : Abbas Kiarostami (né à Téhéran le 22 juin 1940) est sans aucun doute le réalisateur iranien le plus apprécié et estimé aujourd’hui en Occident. Parmi la cinquantaine de films tournés à ce jour, on se contentera de citer ici sa trilogie de Koker, dont le premier film Où est la maison de mon ami ? a reçu le léopard d’or à Locarno en 1987, Le goût de la cerise, palme d’or à Cannes en 1997 et Le vent nous emportera, primé au 56e festival de Venise en 1999. Son dernier film, Copie conforme (2008), tourné en Italie, figure dans la sélection officielle du festival de Cannes 2010. A.K. est apprécié non seulement comme réalisateur de cinéma mais aussi comme photographe (exposé dans le monde entier). D’entre ses trois modes d’expression principaux, A.K. lui-même privilégie la poésie : « Écrire des vers consiste simplement à combiner les mots à l’intérieur de l’esprit dans la plus totale indépendance et immédiateté. » Peut-être s’agit-il là d’une détermination « culturelle » ? Car comme le dit un autre grand cinéaste iranien, Makhmalbâf : « Si derrière tout réalisateur européen on peut voir un peintre, derrière un réalisateur persan, on trouve un poète ou même un conteur. La poésie représente pour nous l’essence de l’art traditionnel. » Il n’y a cependant rien de « local » chez A.K., et là je citerai Riccardo Zipoli, son ami et traducteur en italien : « L’intérêt que l’Occident trouve dans le cinéma d’A.K. [étendons-le à sa poésie] tient aux thèmes qu’il propose à la réflexion qui recoupent les questions fondamentales de l’existence : la solitude, l’incommunicabilité, l’amour de la vie, l’intégration humaine et sociale, les rapports entre les générations, l’éducation, la fraternité, l’importance de l’expérience, la valeur des choses humbles, le sentiment de la précarité du monde. »
 

Danièle Faugeras : Je vais maintenant présenter Kiarostami poète, à partir de sa poésie écrite, bien sûr, que nous essaierons de caractériser brièvement, en nous gardant bien de la commenter : d’une part, parce que la poésie ne s’analyse pas ; et d’autre part, parce que nous adhérons au parti pris d’A.K. lui-même, qui veut laisser au lecteur et au spectateur la liberté de trouver sa propre interprétation des images qui lui sont proposées. Je le cite « Il m’arrive de penser : comment faire un film où je ne dirais rien ? Si des images peuvent donner une telle force à l’autre pour les interpréter et tirer un sens que je ne soupçonnais pas, alors il vaut mieux ne rien dire et laisser le spectateur tout imaginer. Quand on raconte une histoire, on ne raconte qu’une histoire et chaque spectateur, avec sa propre capacité d’imagination, entend une histoire. Mais quand on ne dit rien, c’est comme si on disait une multitude de choses. » C’est en cela que Kiarostami est d’abord et avant tout poète. Il rejoint par ce parti pris ce qu’affirme en philosophe Philippe Lacoue-Labarthe : « Un poème n’a rien à raconter, ni rien à dire : ce qu’il raconte et dit est ce à quoi il s’arrache comme poème. » Là encore, point n’est besoin de commentaire ni d’explication ; il suffit de laisser « jouer » le langage. Ainsi :
Un poème n’a rien à dire.

Un poème « n’a pas à », ne « doit » pas.
La phrase est claire : un poème « dit » mais « n’a pas à » dire.
Rien ne l’oblige : souveraineté du poème.
Un poème dit : rien.
Rien, c’est-à-dire : la chose, les choses = la réalité.
Rien, c’est-à-dire aussi : la Chose = le réel.
Deux niveaux, donc, où peut se tenir un poème :
  – le niveau des choses de la réalité quotidienne, commune et donc partageable : « C’est une occupation propre à tout le genre humain que de découper des fragments de réalité dans son propre esprit, où les mêmes images peuvent se re-présenter à des années de distance, fruits d’une sensibilité inchangée » (A.K.). La poésie est donc là pour réveiller, é-mouvoir, faire résonner quelque chose qui est déjà là dans chaque lecteur, commun à l’expérience de chaque être humain ;
  – le second niveau est celui du « mystère », de l’énigme inhérente au réel. Réel du monde, d’un monde dont l’humain participe auKiarostami même titre que toutes choses. Mais un réel dont la caractéristique est de déborder l’humain, d’échapper à sa prétention de maîtrise, à sa volonté de cerner, de saisir, de comprendre, de re-présenter. Cette énigme du réel, considérée sous l’angle de la condition humaine, le poète la décline à l’infini à partir des trois polarités existentielles fondamentales : la vie, l’amour, la mort.
 

Pascale Janot : Toute l’oeuvre d’A.K. s’inscrit parfaitement dans cette définition générale et universelle de la poésie. C’est une oeuvre toute tendue vers le retrait et l’épure, où l’auteur cherche à soustraire pour mieux montrer. Ses trois modes d’expression – poésie, photographie et cinéma – témoignent d’un même processus de dépouillement. Toute sa démarche consiste à se libérer des impératifs narratifs et à privilégier une observation simple, frontale et directe.
 

Danièle Faugeras : Voyons à présent comment, à partir des poèmes eux-mêmes on peut caractériser la poésie d’A.K. 
  – c’est une poésie faite d’images visuelles : « Une image ne représente pas, ne se donne pas en représentation, mais annonce sa présence, invite le spectateur à la découvrir » (A.K.) ;
  – des images tirées de l’expérience de la réalité quotidienne : rien de « spirituel », de « métaphysique ». On parlera tout au plus de poésie réflexive, qui « pense les pieds sur terre » ;
  – des images fonctionnant le plus souvent par oppositions binaires, généralement données à percevoir comme contradictoires quand il s’agit des rapports humains et comme non contradictoires, complémentaires et donc harmonieuses, quand il s’agit de la nature. On notera aussi :
  – l’usage de la répétition (thèmes et formes syntaxiques), indissociable de celui du « détour », du « zigzag », propre au « mouvement » oriental. Je cite A.K. : « La poésie persane définit ce mouvement [le zigzag] comme celui d’un ruisseau dans un champ. L’eau ne suit jamais une ligne droite. L’essence de son mouvement, c’est l’obstacle. Ce qui entrave l’eau l’oblige à se mouvoir. Ces courbes et ces méandres qui font la beauté des ruisseaux proviennent de leur rencontre avec des obstacles. » Voilà, exprimé en clair à partir d’une observation concrète (que tout le monde peut faire) toute une philosophie de la vie, qui ne peut qu’engager le traducteur, quand il y est confronté dans l’espace d’un poème, à se déplacer en zigzag lui aussi, renonçant à la correspondance directe, pour laisser la rencontre avec l’obstacle lui inspirer ces « courbures » qu’il lui faudra souvent inventer pour parer les lacunes de sa langue, puisque sa langue, à un moment ou à un autre, ne disposera pas des termes pour nommer ce qui relève d’une pensée radicalement autre. Il lui faudra donc faire oeuvre de création ;
  – l’usage exclusif de la forme brève (poèmes de 2 à 10 vers x 2 à 10 mots maximum). Il y a là, à n’en pas douter, des liens thématiques et formels avec la poésie brève japonaise, tanka, haïku, kyôka, etc., même si A.K. n’en adopte pas la métrique. Par exemple : « par la fente de la porte entre à la fois la bise et le clair de lune ».
 

Jean-Restom Nasser : Je vais maintenant vous donner votre première, et sans doute ultime, leçon de persan pour que vous compreniez à quel type de problèmes nous avons été confrontés dans notre travail de traduction, car chaque langue a ses particularités. Mon premier rapport à la langue persane – pour Tayebeh, les choses sont différentes puisque c’est sa langue maternelle, et qu’elle y circule avec aisance – s’est effectué à travers la culture iranienne traduite en français par des maîtres comme Corbin. À l’époque – j’avais 18 ans – j’étais en formation dans une école de théâtre à Marseille. Je me suis intéressé aux gnostiques iraniens, aux théosophes traduits en langue française. Puis un ami iranien m’a proposé de me donner quelques cours. J’ai travaillé alors cette langue comme un enfant du primaire en apprenant l’alphabet, les bases de la grammaire et de la syntaxe, et en même temps, en lien avec mon expérience de comédien, je me suis imprégné par imitation en chantant. Comme un perroquet, j’ai répété cette langue pleine de mots inconnus à la suite des grands chanteurs et poètes iraniens, des mystiques comme Roumi, en m’attachant à la musicalité. Je suis donc entré dans cette langue par la toute petite porte et par la très grande porte : ces chemins se sont ensuite rejoints. Je me suis mis à comprendre ce que je chantais, à habiter ce vocabulaire-là : ce fut comme une naissance ! Par la suite, j’ai rencontré Tayebeh qui est devenue ma femme. Nous avons poursuivi ensemble ce chemin et nous nous sommes lancés dans la traduction de poésie. J’ai donc eu un rapport très charnel, très corporel avec cette langue, qui se trouve restitué dans le travail de traduction. Dans la traduction, il y a une langue de départ dans laquelle nous devons effectuer un travail de débroussaillage nourri par de longues discussions, et à un moment, le passage doit se faire vers la langue d’arrivée avec comme objectif de produire de la poésie. On peut toujours faire de la traduction littérale, cela peut être très intéressant d’un point de vue informatif, mais cela ne l’est pas du tout d’un point de vue poétique. À un moment, il faut trancher, faire des choix, pour que la poésie trouve son rythme, sa musique, son équilibre dans la langue d’arrivée et donne au lecteur le même plaisir que dans la langue native du poète. Traduire, ce n’est pas du tout loin du métier de musicien ou de comédien : on interprète un texte, avec notre savoir, notre singularité, notre imaginaire, notre inconscient... Chaque traducteur apportera un regard nouveau sur le texte, il n’y a pas de traduction « exhaustive ». La poésie très courte comme celle de Kiarostami, c’est de la dentelle, c’est presque rien, mais ce rien est abyssal. Quand on travaille sur la poésie, il y a le sens, puis tout le reste, les sons, les syllabes, le silence : cela renvoie à des choses très profondes en soi. Il faut comme « renaître » pour livrer un travail sincère et authentique. Pour en revenir à la langue persane, nombreux sont les gens qui la confondent avec l’arabe, mais ces deux langues n’ont strictement rien à voir ! Aux 7e et 8e siècles de l’ère chrétienne, les armées arabes ont apporté, de leur langue, l’écriture. Les Iraniens ont adopté cette écriture mais leur langue est restée la même. L’empire persan est une très ancienne civilisation qui a su résister à l’envahisseur en gardant sa culture. De nombreux mots arabes ont cependant été généralisés et sont venus redoubler les mots persans : cela a ouvert un champ lexical très intéressant, plein de nuances. Il y a un vers du grand poète persan Hafez qui traduit bien le rapport à la langue persane: « L’amour paraît simple au départ, après naissent les difficultés. » L’apprentissage du persan paraît simple car la langue a une structure basique, le vocabulaire et la grammaire ne sont pas très compliqués, on fait rapidement d’immenses progrès. Mais cette maîtrise scolaire ou universitaire ne nous donne pas grand-chose. Cette langue est riche de son oralité, elle est pleine de métaphores, de constructions qu’on ne peut pas deviner si on n’est pas immergé dans sa culture, dans ce qu’elle a de plus vivant.
 

Tayebeh Hashemi : C’est une culture dans laquelle la poésie tient une place considérable. Si vous allez dans les rues de Téhéran, n’importe quelle personne, illettrée ou analphabète comme il y en a encore surtout parmi les personnes âgées, est capable de vous réciter des vers de poésie de Hafez, Forough, Sepehri... Des mendiants vous proposent de choisir une enveloppe dans laquelle un vers de Hafez sera interLe vent nous emporteraprété pour vous prédire l’avenir ! C’est normal que dans une conversation, vos interlocuteurs citent des vers. Dans ses films comme Le vent nous emportera, Kiarostami fait dire à ses acteurs des poèmes mais ce n’est pas du tout artificiel. En Iran, c’est comme ça, il y a des poésies qui sortent ! À la télé, à la radio, c’est pareil, même si parfois ce n’est pas très réussi. Le peuple iranien vit depuis toujours avec la poésie. Et dans les périodes de bouleversement, on va chercher la poésie. On se réfugie dans la poésie qui propose d’autres mots.
 

Jean-Restom Nasser : La langue persane est élastique, malléable, propice à la rime. Les mots peuvent être contractés ou dilatés pour les besoins du rythme. Les pluriels ont toujours la même terminaison. C’est du pain béni pour les poètes ou les chanteurs ! Les verbes sont en général à la fin des phrases et la terminaison qui caractérise le sujet est toujours la même, c’est le radical qui change. C’est très facile de faire rimer un poème en persan. Beaucoup de mots sont composés par adjonction de préfixes, de suffixes, par agrégation de mots : les néologismes ainsi créés sont généralement bien accueillis. Vous devinez le casse-tête pour les traduire en français ! En raison de son oralité, le persan est une pâte à modeler.
 

Tayebeh Hashemi : Un autre problème majeur pour traduire le persan est qu’il n’y a pas de genre. Dans un poème, on peut ignorer s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Dans les poèmes de Kiarostami, nous avons travaillé avec Pascale et Danièle à restituer en français, autant que possible, cette ignorance ou cette ambiguïté. Par exemple :
« N’a rien enseigné
N’a rien appris
A bien fait de partir »
Par ailleurs, en persan, il n’y a ni majuscules ni ponctuation. Un même mot peut désigner plusieurs choses, par exemple un même mot désigne l’ami mais aussi quelquefois Dieu. On n’a pas les majuscules pour nous aider à décider. C’est le contexte qui peut permettre d’identifier les choses. Du coup, le traducteur est dans l’obligation d’opérer des choix. Il se trouve là devant un véritable acte de création.
 

Jean-Restom Nasser : Le persan peut s’avérer difficile à la lecture : les voyelles ne sont pas toutes écrites, certaines sont juste marquées par des signes, en haut ou en bas, qui sont souvent « oubliés », il en est de même pour les particules de liaison ou d’appartenance. Cela donne parfois des phrases ambiguës qui peuvent générer des interprétations différentes. Cette langue garde des mystères ! Mais il n’est jamais grave de se tromper...

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