Patrick Ben Soussan
Juillet 2000.
Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre : Cela fait maintenant quatre ans que nous avons créé ensemble la revue Spirale consacrée à La grande aventure de Monsieur Bébé (c’était d’ailleurs le titre du numéro 1, qui a tout de suite été épuisé !). Tu nous as proposé ce projet à un moment où les éditions érès avaient envie de développer plus largement un secteur Petite enfance, initié notamment avec l’ouvrage de Suzon Bosse-Platière, Anne Dethier, Chantal Fleury et Nathalie Loutre-Du Pasquier, Accueillir le jeune enfant : quelle professionnalisation ? Publier une revue ouverte, pluridisciplinaire, exigeante tant sur la qualité des textes que sur leur lisibilité correspondait à notre désir de nous impliquer dans la formation, le soutien et la professionnalisation des personnes qui, au quotidien, accueillent, soignent, écoutent, accompagnent les bébés et leurs parents. Peux-tu dire à nos lecteurs ce qui a motivé ton engagement dans ce projet éditorial ambitieux et difficile ? Patrick Ben Soussan : Assurément le travail en périnatalité. Et cette assurance qu’en ces temps si particuliers et si éphémères de la vie, il y a des rendez-vous à ne pas manquer et des histoires à ne pas brusquer. Il y a des familles à accompagner dans ce qui fait parfois des quotidiens de violence ou de souffrance, lorsque l’enfant paraît avec un handicap, voit sa vie grevée d’une maladie chronique ou létale, voire disparaît aux aubes naissantes de sa vie, en emportant tous les rêves de ses parents et l’avenir qu’ils lui avaient prédit. Je travaillais alors au centre hospitalier de Libourne, en unité de néonatologie, et avec quelques compères, nous avions, en 1993, fondé une association, l’ARANE, association pour la recherche en Aquitaine sur le nourrisson et son environnement, dont le projet affirmé se voulait être un lieu de rencontre, de partage, de sensibilisation et d’information autour de la naissance et de la petite enfance. En fait, cela a bien été une histoire de pères, même si, parmi les quatre membres fondateurs de cette association, il y avait une puéricultrice. Rien que cette idée, aujourd’hui, me réconforte encore un peu : que des pères se saisissent d’une parole autour du bébé et s’attachent à le penser, cela me plaît assez. Mais plus encore, qu’ils interviennent pour que, dans la réalité, la prise en charge du tout-petit, l’accompagnement des familles, le développement de l’enfant puissent justifier de nouvelles pratiques au quotidien, alors là je suis radicalement réjoui ! |
Il ne faut pas que j’oublie un autre aspect très fondateur de la revue : son parti pris esthétique. Allez, osons-le, Spirale est une belle revue. Vous savez, il y a un proverbe africain qui dit qu’il faut entourer le bébé à la naissance et dans ses premières années de vie, de belles paroles, de beaux atours, de belles choses, car tout cela lui rendra la vie belle plus tard. Alors, à Spirale, nous pensons un peu comme ça. Il y a quelques magies et quelques charmes secrets au monde de la petite enfance, et nous voulons le décliner en autant de variations goutteuses pour les sens… La spirale, c’est celle de Ben qui nous a gentiment accordé les droits de ce tableau de 1959, volcanique, carminé, bouillonnant, qui nous semblait dire merveilleusement l’arabesque conquérante des débuts de la vie. Chaque numéro de la revue s’ouvre ainsi par une spirale originale que nous demandons à de grands artistes contemporains, de Christian Garder à Déborah Chock en passant par Mahdjoub Ben Bella, Martine Bredin, Raouf Karray…, ou qui nous est offerte dans des objets ou des constructions humaines. M-F D-S : Comment se sont par la suite décidés les thèmes des numéros de Spirale ? P BS : Spirale est un collège. C’est-à-dire un ensemble de personnes qui sont tous des praticiens de la toute petite enfance ; chacun, à sa guise, coordonne un numéro de la revue dont il peut proposer le thème ou qu’il vient à adopter après en avoir discuté avec les autres membres du collège. Collège et pas comité, parce que nous sommes tous, ici et en ce domaine en pleine mutation, de modestes arpenteurs de savoirs et de pratiques en train de se constituer. Nous allons ainsi à l’école du bébé, de sa famille et des professionnels de la petite enfance qui nous apprennent si régulièrement tant de choses et auxquels nous devons être tout particulièrement attentifs. Ce sont eux en fait qui dessinent les thèmes des numéros de Spirale, leurs sollicitations, leurs questionnements et ce que, dans le quotidien passé auprès des équipes, des familles et des bébés, nous ressentons comme des interrogations plus actuelles ou plus aiguës. M-F D-S : Quelle est l’importance de la présence de rubriques régulières ? Comment leur choix a-t-il été établi ? P BS : Peut-être parce que cette période de la vie voit trôner la sensorialité, nous avons eu envie de parler de livres, de jeux, de musiques, de gastronomie, de peinture, de spectacles, du corps en mouvement, du corps en pensée… Cela donne autant de rubriques à la revue, qui témoignent de l’ancrage culturel et sensoriel de l’histoire des bébés. Les rubriques inscrivent la revue dans la continuité et l’ouverture. Elles sont multiples, volontairement courtes, et essaient de couvrir ces champs sensoriels, j’allais dire charnels, de l’histoire précoce des tout-petits. Fées diverses en sonnent l’ouverture. Je tiens beaucoup à ces quelques lignes manuscrites que nous demandons à un auteur contemporain pour chaque numéro de Spirale. Il est censé se pencher alors sur le berceau imaginaire et formuler ses vœux. De Christian Bobin à Charles Juliet, en passant par Jean Broustra, François Bon, Sylvestre Clancier, Eric des Garets, Claude Chambard…, bien des grands noms de la littérature ont planté leur baguette imaginaire dans l’encre de la première enfance. “C’est à vous, gens de cette revue, Et puis, comme autant de petites perles qui entoureraient d’un collier de rêve la vie naissante, les autres rubriques s’enfilent : Le bébé nouveau est arrivé traite de l’actualité du bébé, partielle et partiale bien entendu, des revues de livres aux initiatives les plus diverses ; Corps accord témoigne du lien entre le corps et l’esprit à partir des études les plus récentes dans le domaine du développement neurophysiologique du bébé ; Des livres et des bébés présente des albums coup de cœur ou coup de colère, nouveautés ou classiques pour les tout-petits et leurs parents ; Musicalement parlant chevauche comptines et jeux de doigts pour dire la musique et les bébés ; Gastronomes en couches propose à chaque trimestre une grande recette pour les tout-petits tandis que Jouet y es-tu ? nous propose quelques instants ludiques autour des jouets, des jeux et du jeu ; Bébés d’ici, bébés d’ailleurs tisse des dialogues nomades entre société traditionnelle et monde occidental, alors que Portraits nous montre les dessins d’enfants, frères ou sœurs accompagnant leur mère en consultation prénatale et à qui l’obstétricien demande de dessiner le bébé dans le ventre de sa maman. Enfin, j’ai insisté tout particulièrement tout à l’heure, Spirale et vous se veut le lieu de rencontre entre les lecteurs et la revue. M-F D-S : Y a-t-il eu des évolutions par rapport au projet de départ ? Quels sont tes idées, tes souhaits pour l’avenir de Spirale ? P BS : Spirale n’a pas changé depuis sa création. Si, le prix peut-être, à peine augmenté. Cela a été d’ailleurs un des choix péremptoires de la revue : être le plus accessible possible en termes tarifaires. Nous sommes partis ainsi de 150 F les quatre numéros qui ressemblaient beaucoup à des livres de plus de 144 pages. Un pari éditorial impossible assurément, s’il fallait faire un clin d’œil à notre éditeur. Et Spirale ne doit pas changer, voilà bien d’ailleurs le seul souhait que nous pourrions avoir pour son avenir : qu’elle reste une revue ouverte, accessible, lisible, qui aborde le monde du bébé de façon la plus large, la plus documentée mais aussi la plus partiale. Car ici résolument, nous plaidons pour la personne du bébé, la reconnaissance de sa place pleine et entière au sein de la famille et dans la société, et la nécessité de bien traiter ces temps si primordiaux de la petite enfance. Dans Spirale, nous convoquons autour des berceaux du bébé et de ses tout premiers pas des disciplines aussi diverses que la pédiatrie, la psychanalyse, l’ethnologie, les neurosciences, l’obstétrique, l’histoire, la biologie… Nous devons veiller à continuer à rester aussi ouverts et intransigeants sur cette exigence première qui est le projet de favoriser la rencontre et l’échange auprès des professionnels de la toute petite enfance. |
M-F D-S : En 1997, tu nous as proposé de te confier une collection de petits livres, à petits prix mais à grande ambition: les mille et un bébés. Nous t’avons tout de suite suivi dans la publication de 9 premiers titres à paraître dès le mois de septembre (9° mois de l’année et chiffre fétiche pour tous ceux qui guettent l’arrivée de Monsieur bébé !) pour les premières Vendanges de Monsieur Bébé à Bordeaux. Succès immédiat auprès des professionnels de l’enfance, car même si la lisibilité des textes reste un objectif primordial, ces petits livres n’ont pas peur d’aborder la complexité de la réalité de ces bébés qui, bien avant la naissance, interagissent avec leur environnement. Cette année, une nouvelle fournée est prévue. Peux-tu nous la présenter ? Comment conçois-tu la direction de cette collection ? Quels projets as-tu pour elle ? P BS : Au bout du compte, après les colloques, après Spirale, la naissance de la collection Mille et un bébés a été… eutocique. En fait, cela s’est fait tout seul. On devait avoir tellement de choses à dire, tellement le souhait de témoigner, de donner, de faire profiter des travaux des uns et des expériences et des théorisations des autres, qu’a jailli l’idée de promouvoir ce nouveau projet éditorial qui en est à sa quatrième année de vie avec 28 titres parus et une nouvelle fournée de 9 pour septembre 2000. |