Entretien avec Manuelle Missonnier


par Carnet psy
le 11 avr. 2018

Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre : Le compagnonnage Carnet psy/érès ne date pas d’hier. Dans un précédent entretien (Lettre érès 13, 2005), tu nous as raconté la naissance de cette revue que tu animes avec passion depuis 1995. Nos relations, qui sont devenues amicales autant que professionnelles, s’originent de cette période où avec courage tu t’es lancée dans l’édition indépendante ! À l’occasion des 10 ans de la revue Carnet psy, en 2005, les éditions érès ont ouvert avec toi la collection « Le carnet psy » pour pérenniser les dossiers thématiques parus dans la revue et les ouvrir à un autre lectorat, notamment les étudiants et les jeunes professionnels qui ont pu découvrir des textes de références dans des volumes de poche à prix abordable. Nous avons tout de suite constaté qu’effectivement cette collection était bien accueillie. Nous en sommes aujourd’hui à 28 titres parus parmi lesquels nous trouvons la série des BBados qui explore, autour de Bernard Golse et Alain Braconnier, l’idée originale de rapprocher ces deux périodes de la vie, ou encore les ouvrages conçus autour des journées que tu organises avec Catherine Chabert et ceux avec Michèle Emmanuelli et Catherine Azoulay notamment.
Depuis plusieurs années, nous avons eu envie de créer ensemble une nouvelle collection différente de Carnet psy, que nous avons choisi d’appeler Thémapsy. En 2018, les 3 premiers volumes paraissent. Peux-tu nous dire ce qui motive la naissance de cette collection ?


Manuelle Missonnier : La première collection Carnet psy était et est une vraie reconnaissance de notre travail à Carnet psy. Cette nouvelle collection s’inscrit dans une filiation avec la revue mais elle a son identité propre. Elle est le fruit de la maturité de la revue. L’idée de cette collection vient de mon intérêt pour les processus de pensée et l’émergence des concepts. Cet intérêt a pris tout son sens dans cette époque charnière, pour nous éditeurs, entre le numérique et le papier. Nous avons accès à tant de savoirs avec internet, à l’instar de Wikipedia, que cela modifie notre rapport aux savoirs. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas le « que sais-je ? » pour reprendre un titre célèbre mais « comment je sais ». J’ai toujours été impressionnée dans mes rencontres avec les professionnels, psychologues, psychanalystes, de la libre association entre la clinique et la théorie. Un cas éclaire un concept, une conférence permet d’élaborer un lien entre une lecture et une pratique. Une lecture réactive une expérience personnelle. En cela, les psys sont comme les acteurs : ils savent utiliser psychiquement toutes les possibilités du matériel humain.

MFDS : Quelle est l’originalité de cette collection ?


MM : L’angle pour aborder une idée. Subjectiver une idée sur laquelle on a travaillé. Souvent universitaires, ou de formation médicale, les psychanalystes dans leurs textes ont rarement recours au « Je ». Parler de soi à propos d’une idée, d’un concept longuement élaboré, c’est lui apporter une dimension pédagogique et une profondeur réelle. J’ai la chance d’avoir des liens amicaux avec certains auteurs. Lorsque je leur ai parlé du projet de la collection, j’ai été confrontée à une certaine résistance pour l’utilisation du « Je ». Or les jeunes professionnels ont besoin de pouvoir s’inspirer de ces cheminements pour trouver leur propre voie. Qu’un clinicien accompli s’expose en exemple est une source d’inspiration.


MFDS : Une collection de psychanalyse à une période où la discipline de Freud est tellement décriée, n’est-ce pas un défi ?


MM : Les 3 premiers livres sont écrits par des psychanalystes, et pour l’essentiel de la collection, ce sont en effet des psychanalystes qui sont sollicités. Oui, la psychanalyse est décriée mais particulièrement dans les institutions publiques parce que son fonctionnement est difficile à transposer dans le modèle économique actuel. Mais combien elle est présente dans les esprits et dans les pratiques ! Réfléchissons par défaut : que fait-on dans une consultation si on n’utilise aucun outil de la psychanalyse ? Pas facile de répondre... Le problème de la psychanalyse, c’est qu’elle est parfois trop utilisée, mal utilisée, et souvent sans passer par les cases formations, sociétés, textes. L’édition psy est encore très féconde et il existe un vrai lectorat. Les éditeurs indépendants prennent le risque de publier d’excellents ouvrages qui sont considérés ailleurs comme insuffisamment rentables.


MFDS : Peux-tu nous parler des trois premiers livres qui ouvrent chacun sur des champs théoriques et cliniques différents ?

MM : Roger Perron est un psychanalyste qui se caractérise par la richesse et la diversité de ses objets de recherches : psychopathologie de l’enfant, troubles instrumentaux mais aussi histoire et épistémologie de la psychanalyse. Compagnon historique de Roger Mises à la fondation Vallée, il est un des grands pionniers de la naissance de la pédopsychiatrie psychanalytique française. Son engagement dans le dispositif thérapeutique du psychodrame est un fil rouge dans son parcours. Je l’ai donc invité à s’expliquer sur cet investissement.
Dans une filiation avec les grands ténors de l’école lyonnaise (Jean Guillaumin, René Kaës, René Roussillon), Anne Brun, professeur de psychopathologie à l’université Lyon 2 et psychanalyste a revisité avec originalité les champs des médiations thérapeutiques, et plus récemment, la question très actuelle de l’évaluation des psychothérapies. Depuis son travail inaugural sur Henri Michaux, elle n’a de cesse d’explorer la genèse et les avatars de l’acte créateur. En l’écoutant, j’ai eu envie de lui demander d’éclaicir ce processus.
Pierre Delion est connu pour ses travaux sur l’autisme, sa réflexion sur la pédopsychiatrie institutionnelle, la prévention. Il développe depuis longtemps la notion de fonction phorique qui est au cœur de problématiques actuelles. Reprenant ses lectures de Winnicott et de Michel Tournier, il éclaire de façon très personnelle ce concept et ouvre des pistes fécondes pour les professionnels qui travaillent en institutions.


MFDS : Je sais que plusieurs auteurs sont en train de préparer un volume pour la collection. Quelles sont les perspectives qui se dessinent pour la suite ?

MM : Alain Braconnier, Catherine Chabert, Maurice Corcos, Bernard Golse, René Roussillon… J’ai la chance d’un compagnonnage qui s’inscrit dans la durée avec la revue Carnet psy et les colloques que nous organisons. Ces liens sont une source constante d’inspiration pour moi pour bâtir des projets.
Dans les conditions actuelles, et tu le sais bien, chère Marie-Françoise, défendre une édition indépendante référée à la psychanalyse est une véritable action militante.  

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