Le 23e centenaire de la mort d'Aristote a inspiré au programme de philosophie de l'UNESCO un ensemble d'initiatives sous la forme de rencontres. de colloques et de publications dont il nous reste à découvrir la foisonnante diversité et l'irréductible cohérence. Paru en 1988 sous le titre Aristote aujourdhui, un premier grand ouvrage offre à ses lecteurs quinze études auxquelle s'ajoutent les textes issus d'une table ronde, accueillie du 1er au 3 juin 1978 place de Fontenoy, à Paris. En guise d`ouverture de ce même volume figurent les témoignages de Georg Kreisel, Jean Dausset et Jacques Lacan.

L'introduction due au maître d'oeuvre de cette grande entreprise, Mohammed Allal Sinaceur comporte de plus la promesse d'une suite, laissant planer malicieusement un doute quant au sens donné à ce terme. Avec la parution du volume que voici, cette incertitude se trouve pour une large part surmontée. Un examen rapide des pages introductives, rédigées sous la forme d'un scintillant dialogue et d'une table de matières judicieusement organisée, suffit à nous faire comprendre qu'il ne s'agit en aucune façon d'un tome 2, qui serait destiné à développer le théme précédemment traité de l'actualité de la recherche aristotélicienne.

C'est donc un projet entiérement différent que manifeste la proposition de penser avec Aristote, en cette fin du deuxiéme millénaire de notre ère. On doit certes juger légitime, et même indispensable, l'effort de confronter la présence durable d'une oeuvre philosophique avec la manifestation ultérieure de recherches et applications en de multiples domaines. C'est en cela que la succession des époques et la pluralité des cultures relanceront sans cesse la question de l'actualité, parfois amoindrie mais aussi dans beaucoup de cas résurgente, d'un courant de pensée.

ll reste que les possibilités de penser avec font naitre des tâches et des perspectives différentes et parfois difficiles à saisir en leur émergence inattendue. Ce qu'il s'agit alors de mettre en évidence, ce n`est pas tant la permanence d'une pensée que la pluralité, d'apparence inépuisable, de ses significations et donc la polysérnie historiquement révélée des grandes philosophies. Leur importance et souvent leurs contradictions internes échapperont très naturellement au « premier penseur » lui-méme, pour ne se faire jour que progressivement au fil des générations.

Il y a là une réciprocité des consciences et des interrogations formant un ensemble d'équivoques que l'on doit considérer comme un fond de ressources normalement inaccessibles, en dehors de certains moments privilégiés pour leur manifestation. Les occasions du penser avec se feront ainsi sentir d'une maniére imprévue, découvertes intervenant souvent comme un brusque élargissement du tenitoire déjà connu, à une jonction entre le présent approché en surface et un passé parfois lointain, grevé de mutisme involontaire.

L'expérience lucide de tout ceci représente un phénomène de novation philosophique, procédant de la commtmication évolutive des sujets pensants et des cultures en dialogue. La fascinante richesse de ces apports porte à croire que l'oeuvre d'Aristote fournit de nos jours le grand exemple d'une prolifération polysémique.