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29/03/2024
Danièle Faugeras
Blog PO&PSY

Petit lexique historique de la poésie japonaise

D'après René SIEFFERT (1923-2004),
japonologue, traducteur, professeur à
l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

 

Kasen : Nom donné, par allusion aux 36 « génies de la poésie (kasen) du moyen-âge, à des séquences de 36 versets « enchaînés ». Plusieurs auteurs y composent alternativement les versets longs (dix-sept mesures) et courts (quatorze mesures) qui constituent les maillons de la chaîne.

Un kasen doit parcourir tour à tour les quatre saisons, car « depuis les temps lointains du Man.yôshû ou du Kokinshû, rendre public un recueil qui eût compté uniquement des œuvres traitant d’une même saison, fussent-elles de qualité, eût été tenu pour la preuve d’une grossière ignorance de l’esprit même de la poésie, dont la conscience de l’éphémère, du « fluant », en d’autres termes de l’inexorable fuite du temps, est la racine même ».

Le kasen s’ouvre par un kaïkaï de l’hôte se rapportant à la saison en cours.

 

Tanka : Forme poétique remontant au 8ème siècle, le tanka (littéralement « chanson courte ») se compose de 5 séquences réparties en deux groupes : un de 5-7-5 syllabes, formant une première partie du poème, et un autre de 7-7 syllabes, formant la seconde. Cette forme s’étant très tôt imposée par rapport à d’autres, on appelle le tanka classique waka, c’est-à-dire « chant japonais ».

 

Kokinshû  ou Kokin-waka-shû : recueil compilé en 905 par ordre impérial ; considéré comme l’archétype et le modèle des recueils de poésie de Cour (Waka) .

Comporte au livre XIX, une section intitulée haïkaï-ka (« poèmes libres ») : poèmes courts (tanka) de 31 syllabes (5-7-5 / 7-7) parfaitement réguliers. La liberté est dans le ton, qui peut être trivial, comique ou burlesque, et dans le vocabulaire qui n’obéit pas aux règles très strictes de la poésie officielle. Le qualificatif de haïkaï sera par la suite appliqué à d’autres formes avec la même signification, par exemple à des poèmes de langue chinoise (kanshi) puis à des « poèmes liés » ou renga.

 

Renga : curieux jeu de société élevé au grand art à la fin du moyen-âge (Cour de l’empereur Go-Toba, 1180-1239). Consiste à faire composer par deux personnes différentes les deux versets (ku) d’un même tanka, au cours de concours de poésie.

Par la suite, ce premier renga sera suivi d’autres, à l’infini, sur le même thème, de façon à constituer une chaîne de renga : kusari-renga.

Parallèlement, le nombre des participants augmente et l’on en arrive à opposer deux équipes qui se renvoient la balle en essayant, à chaque fois, de mettre l’adversaire dans l’embarras.

C’est la forme noble du renga, telle qu’elle est pratiquée notamment dans les monastères aux XIV et XV siècles. Cette forme n’est qu’un avatar du waka, dont elle suit toujours les règles strictes.

Mais, comme pour le tanka, il existe un renga libre ou haïkaï-renga, qui est considéré comme un genre mineur. Le grand classique du renga, le Tsukuba-shû (1356) contient une section de haïkaï-renga. Mais ce dernier se détache très tôt du renga proprement dit et le (Nouveau recueil de Tsukuba » (1495), compilé par Sôgi, le plus illustre poète de renga, l’ignore complètement.

 

Haïkaï-renga : devenu un genre autonome avec ses propres règles et ses propres chapelles, le (désormais) haïkaï tout court connaît à partir du XVIe siècle un rapide développement et son plein essor au XVIIsiècle, avec la paix restaurée par les Tokugawa. Le fait même qu’il s’agisse d’un art qui fait fi des traditions de la poésie de Cour, qui ne nécessite donc aucune culture des classiques mais simplement un peu de talent et de verve favorise sa diffusion parmi les nouvelles classes sociales en formation, « gens de guerre » (bushi) et « bourgeois » (chônin), puis jusqu’aux paysans des provinces les plus reculées.

Il est bon de signaler que le sens primitif de haïkaï est « s’en aller au hasard, baguenauder, divaguer ». En matière de haïkaï, chaque lecteur est libre d’interpréter à sa guise et suivant son humeur du moment, dût-il faire des contresens qui ne seraient de toute manière qu’un enrichissement de cette forme de poésie faite comme de fragments de miroir reflétant sous des angles multiples et divers une illusoire réalité. Il sortira de là un nouvel art poétique, celui des temps modernes, proche de la vie quotidienne et de ses préoccupations.

Le maître de la première génération est Matsunaga Teitoku (1571-1653) qui, non seulement ne se réfère plus au renga classique, mais admet sans restriction les haïgon (mots vulgaires) et les mots d’origine chinoise qui avaient toujours été bannis de la poésie de langue japonaise.

Ses disciples sont Yasuhara Teishitsu (1610-1653) et Kitamura Kigin (1624-1705) qui fut le premier maître de Bashô.

La manière de l’école de Teitoku est qualifiée de Teimon-haïkaï ; on lui reprochera d’avoir sacrifié le libre jeu et le rire à des règles aussi rigides que celles du renga.

 

Haïku : Vers 1670, des poètes de la nouvelle bourgeoisie d’Edo et Osaka créent l’école Danrin qui préconise le retour à la liberté et l’usage de l’humour traditionnel. Déjà le Teimon et plus encore le Danrin avaient pris l’habitude de détacher d’une suite de versets (renku) des hokku (verset initial 5-7-5) particulièrement bien venus et d’en publier des recueils. Ce sont ces haïkaï-hokku indépendants que l’on désigne depuis la fin du XIXe siècle sous le nom de haïku.

On en vint à cultiver l’improvisation des hokku dans d’étranges concours où les participants devaient lutter de vitesse (yakasu = « volée de flèches »). Après ces performances (25000 en 24h !) Saïkaku deviendra avec Bashô et Chikamatsu un des meilleurs prosateurs de son siècle (sa prose se caractérise par un rythme qui rappelle celui des suites de hokku et par une extrême concision et économie de moyens.

 

Le haïkaï selon Bashô (1644-1694) : La liberté totale prônée par le Danrin tourne vite au laxisme et la réaction ne se fait pas attendre. C’est là que l’influence de Bashô devient décisive : après avoir fait ses armes dans le style de Teimon et tâté du Danrin, Bashô développera très tôt une forme de lyrisme original et personnel fondé sur une étroite communion entre l’homme et la nature.

À peine installé à Edo, il voit affluer les disciples ; l’école de Bashô, Shô-mon, par un jeu de mot graphique, deviendra l’ « école de l’authenticité ».

 

On doit à Masaoka Shiki (1867-1902) l’adoption définitive du terme Haiku, auquel il consacre une école et une revue littéraire.