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29/03/2024
Danièle Faugeras
Blog PO&PSY

Le haïku selon François Laplantine

Le haïku est la forme littéraire la plus concise qui soit : trois vers irréguliers de 17 syllabes sans aucun procédé rhétorique d’assonance ni d’allitération. Il décrit sobrement une situation en s’imprégnant de cette dernière.

C’est une affirmation mais, curieusement par rapport à nos habitudes, une affirmation sans détermination. Elle suggère plus qu’elle ne définit, elle ne prend pas parti, ne défend aucune cause et par conséquent ne se trouve pas arrimée à une position. Le haïku est un assentiment. Mais un assentiment non dirigé à partir d’un sujet. Cette modalité du oui n’a évidemment rien à voir avec le oui mystique de ferveur, mais suppose néanmoins un sentiment ou plutôt une sensation de confiance et d’abandon.

Cette sensation doit être juste, précise et concrète. Elle se trouve concentrée en quelques mots assemblés en trois lignes verticales.

Le haïku est un art brut étranger aux constructions, aux concepts, aux abstractions et aux jeux de la raison. C’est un art de l’instant qui transmet le plaisir de l’étonnement éprouvé en présence de minuscules événements dont le caractère saillant est l’impermanence :

 

pétale envolé

à la branche revient

papillon hélas !

 

dans les fleurs tardives de cerisier

le printemps qui s’en va

hésite

 

après la danse

le vent dans les pins

le chant des insectes

 

Le haïku n’est nullement soustrait au temps et il comporte le plus souvent un « mot de saison » (kigo). Il est en revanche soustrait à l’interprétation. Il ne délivre pas un sens ni n’est propice pour autant à la moindre complaisance pour l’obscurité. Les poèmes de Basho sont d’une extrême clarté.

Notons que même les plus anciens des haïku champêtres et bucoliques sont dénués de toute spiritualité cosmique. Ce ne sont pas des prières, encore moins des hymnes à la nature mais des chansonnettes écrites pour beaucoup par des citadins d’Edo et Osaka qui connaissent peu la nature.

Voici une esthétique minimaliste attentive à ce qu’il y a de plus ténu dans le vivant, qui fait l’éloge du petit et même du plus petit possible, l’éloge du moins pour parvenir au mieux ou plus exactement au juste : écrire juste ce qu’il faut, pas davantage. Cette écriture allégée, ramassée et condensée dans le strict minimum est étrangère à nos habitudes de développement narratif. Elle est également étrangère à notre époque de consommation effrènèe, de gaspillage mais aussi de bavardage dans un univers qui tend à une saturation croissante des sons et des images.

Le haïku est une incitation à nous dépouiller de tout ce qui encombre et alourdit. Il nous déleste du poids de l’explication insistante ainsi que de la tendance du sujet vaniteux et de son désir de tout maîtriser. Le sens n’est pas à proprement parler aboli mais suspendu, tant ce qui compte par-dessus tout est la fraîcheur de l’évidence de l’instant présent dans une description qui nous dit en quelque sorte : c’est ainsi, c’est comme cela, voici ce que je perçois et ce que je vous donne à voir, à vous d’en faire ce que vous voudrez.

Le haïku est un art de la raréfaction. Il est sans métaphore, sans surcharge rhétorique, sans figure de style, sans jugement de valeur, sans question, sans pourquoi (et a fortiori sans pourquoi faire), sans prétention, sans intention. Il n’explique rien, ne dicte rien, il n’appelle aucun commentaire. Il est totalement un oui (au sentiment d’être en vie et au plaisir des sens).

 

Ce genre poétique peut évoluer. Il peut aussi être adopté et a inspiré des poètes aussi différents que Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Kenneth White ou encore Abbas Kiarostami. Il n’est nullement soumis aux contraintes qui sont par exemple celles de l’alexandrin. Il peut même s’affranchir de la règle des 5,7,5 et du kigo. Mais l’esprit du haïku – ascétique s’il en est mais résolument exotérique – demeure reconnaissable entre tous. Il mêle un certain nombre de caractéristiques : la verve et la naïveté (réunies dans le terme ada), la sincérité (makako), l’humilité et la spontanéité.

La langue du haïku est une langue populaire, dénuée de toute préciosité. C’est une langue vivante, volontiers enjouée, qui doit beaucoup à l’improvisation (sokkyô) et refuse la répétition.

Un haïku est un impromptu qui développe un sens aigu de l’attention à de toutes petites choses et dans lequel la sonorité des mots et plus encore l’acuité des images doit susciter une surprise. Ce qu’il provoque chez celui qui l’écoute, le lit ou l’écrit est un assentiment pouvant aller jusqu’au ravissement et au silence.

 

 

François LAPLANTINE

Extrait de Le Japon ou le sens des extrêmes, Pocket, Agora, 2017.