Ce livre rassemble l’intégralité des textes poétiques qui ont jalonné quarante-cinq années d’une pratique d’écriture attachée à restituer une expérience vécue d’un réel qui toujours échappe, certes, mais qui par là-même incite à l’approcher. Cela impliquait de se dégager de cette conception identitaire de l’existence qui domine en Occident, avec son refus du réel, avec son illusion d’un « moi je qui ne s’en remet pas d’être né », d’un nous autres qui n’admet ni sa condition métisse ni l’altérité du milieu qui l’accueille.

Rendre cet à la fois qui caractérise un réel par essence contradictoire et équivoque (présence et absence, permanence et changement, même et autre…) supposait un travail sans cesse renouvelé sur l’autre de la langue, déplaçant et réarticulant les mots à la façon de ces ouvrages de maçonnerie antiques appelés opus incertum.

Ce cheminement, loin d’être solitaire, a trouvé en cours de route des appuis chez un Montaigne : « Je ne peins pas l’être, je peins le passage », un Cézanne : « Il n’y a pas de contours, rien que des passages vibrants », un Wittgenstein : « Ne pensez pas, regardez ! » et chez bien d’autres clairvoyants, témoins de la variabilité, de la diversité, de la multiplicité à l’œuvre dans l’existence.