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05/04/2024
Danièle Faugeras
Blog PO&PSY

Olav H. Hauge, le jardinier d’Ulvik

Olav H. Hauge (1908-1994) habitait, loin dans le Nord, en Norvège, au bord d’un fjord. Il fut l’homme de deux expériences. D’abord celle du travail de la terre et des bois : d’origine paysanne, il a lui-même gagné son pain tout au long de sa vie en cultivant sa terre. Se croyant peu doué pour les sciences, il avait écarté volontairement l’idée de poursuivre ses études et s’était décidé pour une formation en horticulture. Le Hardanger fjord où il vivait est le fjord des vergers : pommiers, poiriers, pruniers. Il sera donc arboriculteur.

 

L’été était froid et pluvieux.

Les pommes sont vertes et piquées.

Cependant je les cueille et je les trie

et je les range dans des caisses à la cave.

Des pommes vertes valent mieux

que pas de pommes

quand on vit ici, au 61e parallèle nord.

 

Pourtant, si accaparé soit-il par les tâches paysannes, il ne cesse d’affirmer sa vocation profonde : écrire.

 

Nouvelle nappe jaune sur la table.

Et nouvelle feuille blanche !

Ici, les mots doivent venir,

ici sur une si belle nappe,

sur un si beau papier !

 

La glace s’est étendue sur le fjord.

Les oiseaux sont arrivés

et se sont posés.

 

Dès sa quinzième année, il découvre grâce à son oncle, émigré aux États-Unis, mais qui réapparaît de temps en temps dans son village avec, toujours, une valise remplie de bouquins, Omar Khayyam, Emerson, Thoreau… Au même âge, il commence un journal de l’âme, comme il se plaît à le définir. Peu d’états d’âme dans ce journal de l’âme, mais, notées de façon détaillée… ses récoltes. Oui, celles des fruits qu’il cultivait dans sa petite ferme : pommes Gravenstein, prunes Victoria, puis d’autres récoltes bien plus importantes et qui sont ses lectures : Baudelaire, Char, Dickinson, Pound, Yeats, Whitman, Blake, Corbière, mais aussi Bachelard, Simone Weil, Basho… Des centaines de livres, cités, annotés, tout un chassé-croisé d’émotions intenses, d’émerveillements et de commentaires.

Si ce journal — près de 5000 pages —, publié six ans après sa mort, est admirable, véritable voyage dans la littérature de tous les pays, de toutes les tendances, de toutes les époques, il était surtout pour lui occasion d’exercer son esprit pour atteindre ce seul objectif : écrire de la poésie.

 

*

 

Que l’on ne rêve pas à quelque paradis partagé entre pommes et livres. L’enfer a duré plus de trente ans, ponctué de rares moments de bonheur dus surtout à la littérature : Olav H. Hauge, atteint de schizophrénie, ne cessera d’aller et venir entre son village d’Ulvik et l’hôpital psychiatrique de Valen. Ce sera dans les accalmies qu’il écrira.

En 1946, à 38 ans, il fait son entrée dans le monde littéraire avec Glor i Oska — Braises dans les cendres. Les recueils suivront à une cadence régulière. Rapidement remarqué, il reçoit en 1961 un des plus prestigieux prix littéraires de Norvège : le Kritikarprisen. Dans les années soixante-dix, Olav H. Hauge atteint non seulement la reconnaissance littéraire, mais aussi une sorte de gloire nationale. Il devient un mythe. Celui qui était le fou d’Ulvik est devenu le sage d’Ulvik. Le jardinier-poète, qui a appris seul le français, l’anglais, l’allemand, pour lire et plus tard magnifiquement traduire Rimbaud, Char, Crane, Browning, Brecht, Celan, qui taille ses pommiers et fait des vers d’une simplicité déconcertante mais si magnétique qu'elle va droit au cœur de toute une population, y compris les nouvelles générations urbaines.

Dans ces mêmes années, après une longue relation épistolaire, il rencontre puis épouse Bodil Cappelen, une lissière de renom, beaucoup plus jeune que lui. Elle sera la compagne de sa vie jusqu’à sa mort en 1994.

 

*

 

Quel emblème de l’œuvre choisir ? Mettons ces deux poèmes :

 

Katten — Le Chat

 

Le chat est assis dans la cour

lorsque tu arrives.

Parle un peu avec le chat :

à la ferme c’est lui qui sait.

 

Presque trop simple et pourtant… Le deuxième, qui n’est pas sans rappeler les poèmes norois des scaldes anciens, est tout autre, il ressemble à une incantation magique :

 

Det er den draumen — C’est le rêve :

 

C’est le rêve que nous portons,

que quelque chose de merveilleux va arriver

que ça doit arriver —

que le temps va s’ouvrir

que le cœur va s’ouvrir

que les portes vont s’ouvrir

que la montagne va s’ouvrir

que les sources vont jaillir

que le rêve va s’ouvrir —

qu’au point du jour nous glisserons sur la vague

vers une anse dont nous ne savions rien.

 

Ce poème, utilisé en Norvège à mille occasions, des plus familiales aux plus officielles, est entré dans le Sangbok des églises luthériennes.

En 2008, pour le centenaire de sa naissance, la Norvège célébra tout au long de l’année la poésie de ce simple jardinier pas si simple, prince des poètes et symbole d’un art d’être et de vivre, dans un extraordinaire élan de créativité et d’imagination.

 

Aujourd’hui j’ai senti

que j’avais fait un bon poème.

Les oiseaux piaillaient dans le jardin quand je suis sorti

et le soleil montait radieux au-dessus des collines de Berga.

 

 

 

François MONNET

in revue Conférence


photo de Danièle FAUGERAS

Danièle Faugeras vit dans le Midi de la France. Poète, traductrice, elle se consacre depuis 2008 exclusivement à la poésie, partageant son activité entre écriture, traduction, édition et lectures publiques. Elle a publié une douzaine de recueils de poésie, le plus souvent en dialogue avec des artistes. Son œuvre poétique complète est parue en 2021 aux éditions ERES, collection PO&PSY in extenso, sous le titre Opus incertum (1975-2020). Parmi ses traductions de poésie : Patrizia Cavalli, Paolo Universo, Issa, Cid Corman ; ainsi que les œuvres poétiques complètes d'Antonio Porchia, Federico García Lorca, Symeon de la Jara.

 


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