Hommage à Jean-Pierre Pinel


 

 

" Celui qui soutient une vision de l’humanité de chacun des sujets et met en œuvre cette vision, on l’appelle un garant. Jean-Pierre PINEL était de ceux-là. Un homme qui en acte et en pensée nous a montré tout au long de sa vie une audace de pensée, et dans le même temps un indéfectible goût du collectif, une incessante préoccupation de l’autre et du « vivre ensemble ». Il vient de décéder brutalement ce 30 septembre 2022.

De l’Université Paris 13, aux très nombreuses institutions du soin et du travail social qu’il a arpenté tout au long de son activité professionnelle, aux associations avec lesquelles il travaillait, les témoignages des collègues, des amis, des multiples personnes qu’il a côtoyées sont unanimes : Jean-Pierre Pinel était un repère, solide et fiable. Un homme impliqué dans son travail comme dans ses liens, qui avait à cœur de soutenir chacun de ses engagements

Psychologue clinicien, analyste de groupe et d’institution, Jean-Pierre Pinel était professeur émérite de Psychologie sociale clinique à l’Université Sorbonne Paris Nord. Membre éminent de l’UTRPP (Unité Transversale de Recherche, Psychogenèse et Psychopathologie), il avait été responsable du Master de Psychologie et du Master Psychanalyse et Interdisciplinarité, outre ses nombreux engagements institutionnels (Membre élu au conseil de l'UFR LLSHS et de la commission de la recherche) et nationaux (à la 16ème section du CNU). Au-delà de l’Université il était Président de l’association Transition (Association européenne, analyse de groupe et d’institution) et co-rédacteur en chef de la revue Connexions.

Malgré une importante charge universitaire il était parvenu à maintenir un ancrage comme thérapeute dans la clinique auprès des adolescent accueillis en DITEP dans les montagnes iséroises, où il a ainsi œuvré jusqu’en 2015, et intervenait régulièrement auprès d’institutions de la « mésinscription » (soin du travail social, etc.) en crise.

De portée internationale ses travaux de recherche participaient à ce difficile travail de pensée qui vise à mettre à jour et à donner du sens aux mutations contemporaines. Au titre de ses méta-analyses donnant de la lisibilité aux bouleversements en cours, nous lui devons la notion d’ « idéologie de la transparence » (2009), ainsi que celle de « position nostalgique mélancolique » (2015), outre son travail en co-pensée autour de la « destruction de l’intermédiaire », comme symptôme paradigmatique de l’hypermodernité.

Il s’intéressait de façon privilégiée à la clinique institutionnelle et à la clinique des groupes institués (les équipes), à la clinique de l'adolescence et celle de l’agir, où son travail de recherche qui a donné lieu à des contributions essentielles. Citons en premier lieu sa notion d’« homologie fonctionnelle », qu’il avait formalisée en 1996, dans l’article au titre programmatique :« La déliaison pathologique des liens institutionnels[1] ». Sa participation à la théorisation de la clinique des adolescents et de la clinique de l’agir s’est déclinée au travers les notions telles celles d’« alliances psychopathiques » (2010), d’« incestualité mafieuse » (2014), de « déprivation du répondant » (2018), etc.

Mentionnons encore sa capacité (rare) à « co-écrire » et à « co-penser » avec d’autres. D’une rigueur exemplaire, ses constructions se présentent comme des architectures, sobres et solides. Face à la complexité et à l’intrication des situations cliniques, elles permettent aux praticiens, aux autres chercheurs, de trouver des supports et des repères.

Il nous revient désormais de continuer à prendre appui sur ce travail et sur la qualité humaine qu’il a incarné, tout au long de son (trop court) parcours de vie.

 

En guise d’adieu quelques mots de René Char, poète que Jean-Pierre Pinel affectionnait particulièrement.

 

"Qu'il vive

"Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.

Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.

On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie." 

René Char (Les Matinaux, 1947-1949, p. 42)

 

Nos pensées vont à sa famille et à ses proches, ses collègues et amis, et à ses étudiants.

Georges GAILLARD

 

Une journée "carte blanche" consacrée à ses travaux, se tiendra à l’Université de Sorbonne, Paris Nord (Campus Condorcet ; Aubervilliers), le 28 mars 2023.

Voir les ouvrages de Jean-Pierre Pinel

 

[1] Article paru en 1996, dans l’ouvrage, sous la direction de René Kaës, Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels.

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