Patrick Ben Soussan


par Audrey Minart
le 4 janv. 2018

« Nous avons tous ce vieux rêve d’un enfant qui réussit »

   Dans L’art d’élever des enfants imparfaits, le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan
   invite les parents à être plus indulgents avec eux-mêmes et de moins prêter l’oreille
   aux discours et sermons sur l’éducation. Un ouvrage qui rappelle non seulement que
   la perfection n’est pas de ce monde, mais aussi que même s’il arrive parfois de « se rater »,
   la vie nous offre de nombreuses occasions de nous rattraper.

   Lien vers l'ouvrage

 

   Propos recueillis par Audrey Minart

 

 

 

Vous dites que les enfants parfaits n’existent que dans nos rêves. Quelle est la différence entre le bébé imaginaire et le bébé réel ?

 

Elle est énorme. Et pourtant, s’il est souvent répété qu’à la naissance de l’enfant réel il faut faire le deuil du bébé imaginaire, c’est en fait un pieux baratin. Heureusement que ce dernier continue à cheminer comme un double, une espèce d’ombre de l’enfant au quotidien, parce que sinon ça serait terrible ! Il nous permet de nous dire qu’il va y avoir un déclic, que ça va se passer mieux, qu’il va y arriver… Enfant imaginaire et enfant réel co-existent et se confondent. Et en même temps, le bébé imaginaire, c’est cet enfant de nos rêves. C’est d’abord celui qu’on n’a pas été soi-même pour ses propres parents, celui que nous aurions souhaité être pour eux, un merveilleux enfant qui les aurait comblés. Vous savez, le rêve époustouflant de tout enfant : rendre à son parent, avec intérêt, la vie qu’ils nous ont donné, les rembourser de leurs efforts, de leurs « sacrifices », disait-on autrefois… Le bébé nouveau qui arrive dans nos vies nous rappelle toujours celui que nous avons été : un enfant comblant pour nos parents ? Ou bien un enfant terrible ? Ensuite, l’enfant imaginaire est celui dont nous voudrions faire cadeau à nos parents, pour les réparer de l’enfant terrible que nous avons été, ou que nous pensons avoir été. C’est enfin celui que nous souhaiterions avoir pour devenir, d’une certaine façon, des parents de rêve – ce que nos propres parents ne sont pas parvenus à être pour nous ? . Nous avons tous ce vieux rêve d’un enfant qui réussit, autant dans sa vie sociale, affective, émotionnelle… Et qui nous offre sur un plateau la réussite de notre métier de parent… Si difficile n’est-ce pas ?

Vous écrivez : « Nos enfants parfaits feront de nous des parents parfaits. » Quelle est la place de l’ego des parents dans l’éducation de leurs enfants ?

Elle est colossale. Mon enfant est un peu le prolongement de moi-même. Quand on parle de lui en ma présence, quand on lui adresse des compliments dans la rue, j’ai envie de gonfler le torse parce que c’est comme si c’était à moi qu’on les adressait.

Vous soulignez aussi qu’en contrepartie, tous les enfants « se font un malin plaisir, plus, un devoir, de profaner nos attentes ». Il est en fait vital pour l’enfant d’échapper un peu aux désirs de ses parents ?

En effet. C’est surtout un moyen d’exister face à eux. Ce que l’on retrouve lorsque, autour des deux ans, il est constamment dans l’opposition, dit « non » à tout, refuse de porter ce qu’il n’a pas choisi, etc. C’est important pour lui, même ensuite, de faire comprendre à sa mère et à son père, qu’il est un individu à part entière, et non pas leur prolongement, un mini-elle ou mini-lui. De leur dire : « Je ne suis pas toi. »

Vous évoquez aussi la question de l’ambivalence, le fait de parfois haïr son enfant, surtout après une grossesse généralement sublimée. En fait, selon vous, il en faut de cette haine, de cette ambivalence, tant que l’on reste dans la capacité de « haïr sans détruire ». Pourquoi ?

Comme je le disais, nous rêvons tous d’avoir un enfant qui réussit. Mais du coup, cela veut dire qu’on lui prête le pouvoir de faire tout un tas de choses que nous n’avons pas faites, nous. Des choses que nous aurions pourtant rêvé de faire. Nous parlons beaucoup de la crise des adolescents, mais cela correspond souvent aussi à la crise du milieu de vie pour les parents. C’est le moment où ils réalisent qu’ils sont en train de basculer dans la deuxième partie de leur vie, alors même que leur enfant est en train de réaliser toutes les choses qu’eux ne vont peut-être plus pouvoir faire. Le premier baiser, la première mobylette, la première cigarette… Les parents regardent tout cela avec nostalgie, et en même temps avec un peu de jalousie. Osons : avec beaucoup de rivalité. Ne serait-ce que parce qu’il vient après nous, et que de toute façon il va rester après nous. Et ça c’est terrible ! C’est une atteinte terrible à notre fantasme d’éternité... L’enfant, par son existence même, nous rappelle que l’on va mourir. Et cela, on ne peut que lui reprocher. Lui pardonnera-t-on un jour ?

Difficile d’accepter de penser cela, à une époque où, dans le discours dominant, nous sommes censés, en tant que parent, verser dans l’amour inconditionnel.

J’utilise dans mon livre l’exemple de cette conférence où j’expose cette idée d’ambivalence, cette envie parfois de balancer le bébé par la fenêtre. Il y a dix ans, 500 personnes levaient la main pour dire qu’ils l’avaient déjà pensé. Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux qui osent le faire. Et les autres semblent choqués. Il y a là une espèce de Surmoi interdicteur, qui ne nous donne pas le droit de penser ainsi. Il faut aimer les enfants, être bienveillants avec eux, bientraitants, il faut être positifs… Mais ça commence à bien faire ! Il y a évidemment des moments où on leur donnerait des claques. Où on les ramerait bien à la maternité… Mais surtout il ne faut pas le dire. Plus encore : il ne faut pas le ressentir. Ce qui est une aberration puisque la base de l’être humain, c’est le conflit psychique. L’ambivalence. On pense une chose et, en même temps, on est très habité par son contraire.

Difficile donc d’être parent… Mais en même temps, vous citez le Petit Prince : « Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes. »

Il faut d’abord que nous soyons, nous parents, très indulgents envers nous-mêmes. Que nous arrêtions de nous culpabiliser, de toujours rechercher le mieux, la perfection, de nous dire que nous avons mal fait, d’avoir cette crainte de traumatiser l’enfant, notamment du fait de nos histoires… Sauf que l’histoire repasse les plats constamment. Si on se rate une fois, et bien on se rattrapera la fois suivante. Ou celle d’après. L’idée est aussi que les enfants font d’autres rencontres dans leur vie que leurs parents. Ils vont aussi explorer plein de choses avec d’autres personnes. C’est peut-être ça, aussi, qui nous gêne, le fait de savoir qu’ils vont s’émanciper, et notamment de leurs parents. Ils vont rencontrer d’autres personnes. Une puéricultrice, une tante, une cousine, une baby-sitter… Les tiers sont aussi importants. L’enfant doit pouvoir rencontrer le plus de monde possible, et s’ouvrir autant que possible à son environnement. Ouvrons l’avenir à nos enfants, ils sauront s’y épanouir. Ayons confiance en eux… et en nous.

 

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