Bernadette Allain-Launay et Serge Vallon
Aout 2007.
![]() J’ai eu de la chance que vous acceptiez tous les deux de vous plonger dans l’aventure éditoriale et que votre « couple » fonctionne ! Qu’est-ce qui vous a poussés à répondre favorablement à ma proposition ? |
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MFDS : Pendant plusieurs années, nous nous sommes réunis régulièrement chez érès pour travailler à la mise en œuvre de la collection, bien avant qu’elle ne voit véritablement le jour… BAL : C’est lors de ces réunions, après de longs débats, qu’est né le titre, « Trames », symbolique de ce que nous tentons de construire. La trame, cet « ensemble de fils entrelacés pour constituer un tissu », mais aussi « structure d’un réseau » (petit Robert), c’est celle que nous nous efforçons de tisser pour offrir à nos lecteurs un panorama chaque année plus ouvert, du champ social et médico-social. Nous avons défini ensemble une charte de la collection : faire mieux connaître les métiers, les différents publics concernés, les établissements et les modes de prise en charge, en proposant au lecteur un état des lieux, une analyse critique, des illustrations pratiques basées sur du vécu de praticiens. |
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BAL : Parmi les titres variés qui explorent des domaines si diversifiés, quatre titres se détachent pour moi comme étant emblématiques d’une collection visant à donner une plus grande visibilité aux métiers éducatifs sanitaires et sociaux si souvent mal repérés. J’ai également un grand attachement pour le livre sur Le travail de rue rédigé par un collectif émanant de nombreuses associations toulousaines s’occupant de personnes à la marge, SDF, toxicomanes, prostitués. Ecrit par un ensemble de travailleurs de l’ombre œuvrant souvent la nuit, dans la rue, seuls face à la souffrance des grands exclus de notre société, il ne laisse pas indemne et son approche de l’accompagnement peut apporter beaucoup, tant aux professionnels en exercice qu’aux jeunes travailleurs sociaux attirés par ces publics. Le quatrième est celui de Philippe Chavaroche, Travailler en MAS : l’éducatif et le thérapeutique au quotidien. Il décrit au jour le jour la spécificité du travail auprès des personnes polyhandicapées, avec un infini respect pour cette population en grande souffrance. Sans nier les dangers d’usure et de découragement liés à la pénibilité de ces fonctions, il dégage des outils et des moyens tirés de sa propre expérience de ce genre d’établissement et de public, pour donner sens et valeur à ce difficile engagement. SV : Mon espoir serait de rééditer davantage de textes « historiques » comme celui de Gentis, Les schizophrènes (mais les problèmes de droits sont parfois insolubles) ainsi que des témoignages permettant de s’ouvrir à des comparaisons européennes. Le catalogue montre que nous n’avons pas hésité à publier des textes proches de l’essai comme Questions de discipline d’Eirick Prairat et récemment la belle méditation de Gaberan, dont parle Bernadette, Cent mots pour être éducateur. Puisse « Trames » faire épanouir cent fleurs de cette qualité avec la complicité de nos lecteurs ! MFDS : A l’automne, deux nouveaux titres paraissent, qui ouvrent sur des champs que la collection n’a pas encore beaucoup explorés : sur la psychiatrie adulte avec Vivre et dire sa psychose, et sur des acteurs de l’action sociale, importants car ils ont été à l’origine historique de sa création, dont ils ont accompagné le développement et la professionnalisation, et qui restent souvent indispensables : les bénévoles. SV : Oui, nous publierons bientôt des textes de psychiatrie, un peu trop minorés dans notre catalogue (Que les auteurs se le disent !). Donc un ouvrage original de Jean-Paul Arveiller sur le bénévolat social et un texte inédit sur le vécu de la psychose. Chose rare, ce dernier ouvrage a été composé à partir d’entretiens avec des patients racontant leur vécu de la maladie, il est le résultat d’une recherche menée par une équipe d’anthropologues et de médecins sous l’égide de L’association culturelle de Saumery et la Fédération des Croix-Marine. MFDS : Comment envisagez-vous la poursuite de la collection ? Quels sont les projets à moyen et long terme ? BAL : « Trames » est lancée, elle appartient maintenant à ses auteurs, existants et à venir, ainsi qu’à ses lecteurs. Pour l’avenir, nous « tramons » bien sûr de multiples projets. Certains à court terme, sur les relais assistantes maternelles, le métier d’aides médico-psychologique (AMP), l’art-thérapie. D’autres à plus long terme. Il existe par exemple peu d’écrits récents sur de nombreux handicaps, notamment physiques et sensoriels. Par ailleurs, après le livre de Philippe Berthaut, La chaufferie de langue, sur les ateliers d’écriture, les techniques éducatives de tous ordres (équithérapie, expériences artistiques, autres médiations) nous paraissent intéressantes à explorer. Enfin suite aux différents ouvrages sur les MAS et le milieu ouvert, nous aimerions publier d’autres titres sur les établissements et structures de prise en charge pour enfants et adultes handicapés. |
BAL : Que les auteurs désireux d’écrire sur leurs pratiques se manifestent donc, pour nous aider à couvrir le plus largement possible le champ social et médico-social, sous les angles les plus divers, avec toujours le souci propre aux éditions érès, d’une réflexion engagée, sous le signe de l’éthique et du sens de l’humain. SV : La réflexion sur les dispositifs de soins et d’éducation doit accompagner l’usage des références théoriques. La fausse neutralité gestionnaire – baptisée « étude de qualité » - ne dispense d’aucune réflexion politique et théorique, pas plus en psychiatrie ou dans le médico-social que dans tout système de santé ou de solidarité. « Trames » a publié les réflexions claires de Jacques Ladsous sur l’Action sociale, étayées par les Etats généraux correspondants. Massification et suspicion peuvent entraîner jusqu’à une inconsistance de tout savoir, voire la disqualification de tout témoignage d’expérience. Il s’y ajoute ce que j’appelle l’instantanéisme. Un livre publié il y a cinq ans paraît très ancien ! Nous devons lutter contre cela pour ne pas réinventer l’eau tiède, même si chaque génération professionnelle doit se réapproprier un répertoire de références, d’exemples, voire de grands hommes ! Ainsi on va redécouvrir les vertus des collectifs comme ceux des internats après les voir honnis. Ainsi on va prôner l’effort d’apprendre contre le plaisir de savoir, comme si c’était opposable. Ainsi on va valoriser l’implication de l’acteur éducatif ou soignant après avoir requis son effacement derrière des protocoles. Nous n’effacerons pas ces contradictions mais nous devons, modestement mais pédagogiquement et éthiquement, accompagner nos lecteurs. Une collection comme « Trames » doit ainsi pour être utile et efficace donner un savoir accessible qui ne dissimule pas les arcanes de sa construction, ni les a priori de son auteur ni les contradictions de son objet. On retrouve le Gai savoir nietzschéen à l’usage de l’Honnête homme de notre voisin Montaigne ! |