Entretien avec Marie-Christine Cabié


 

 

M.-F. Dubois-Sacrispeyre : Marie-Christine Cabié, vous êtes psychiatre, praticienne hospitalière et vous avez été à la tête d’un secteur de psychiatrie générale. Vous dirigez la collection « Relations », fondée en 1992 par Jean-Claude Benoît, qui abrite des classiques de l’approche familio-systémique : Stratégies de la psychothérapie de Jay Haley, Familles en thérapies de Salvador Minuchin, S’il te plaît ne m’aide pas ! de Guy Hardy et surtout La compétence des familles de Guy Ausloos. Nous avons été peinés cette année d’apprendre son décès. Pouvez-vous rappeler le rôle important qu’il a joué dans le développement des théories systémiques et de la thérapie familiale ?

Marie-Christine Cabié : Lorsqu’à la fin des années 1970, les thérapies familiales systémiques ont commencé à se développer en Europe, un certain nombre de pionniers ont permis leur diffusion et leur évolution. Guy Ausloos était l’un d’entre eux. Citons également Jean-Claude Benoit, Yves Colas qui ont créé la revue Thérapie familiale et les journées de Thérapie familiale systémique de Lyon. Guy a également animé de nombreuses formations, supervisions. Il a participé et organisé de nombreux congrès. Sur le plan scientifique, son livre La compétence des familles est une référence majeure. Faire de la thérapie familiale, c’est « créer un cadre où nous puissions activer le fonctionnement du système familial qui se trouve momentanément bloqué, pour que la famille puisse à nouveau utiliser les compétences dont elle dispose afin que surgisse l’imprévisible ». Guy accordait une grande attention au processus et faisait grande confiance au système : « un système ne peut se poser de problème tel qu’il ne soit capable de le résoudre ».

MFDS : Vous êtes aussi psychothérapeute, formatrice en thérapie familiale, thérapie brève et hypnose ericksonienne. Érès formations a d’ailleurs eu le plaisir de proposer votre formation aux thérapies centrées solutions et au modèle de Bruges, qui a remporté un vif succès. Comment avez-vous rencontré l’approche systémique ? Pourriez-vous la décrire brièvement ? Pensez-vous que cette méthode centrée sur les solutions soit plus à propos dans le monde anxiogène actuel ? Répond-elle aux besoins des patients qui consultent aujourd’hui ? 

MCC : J’ai rencontré l’approche systémique au début de mes études de psychiatrie, en 1978-1979. Cela me semblait intéressant pour travailler les relations au sein des familles, par exemple à l’adolescence. Adolescence, crise familiale est mon premier livre publié avec C. Gammer. Je me suis formée aux usa avec S. Minuchin, et en France avec C. Gammer et L. Isebaert. Dans le service du Dr Wajeman en 1990, nous avons invité Steve De Shazer. Plusieurs points m’ont intéressée : l’ouverture de la thérapie systémique aux individus ; la posture du thérapeute qui considère le patient comme expert pour lui-même et fait preuve de curiosité ; la coconstruction de la thérapie en s’appuyant sur l’utilisation du langage (observation-reformulation-questionnement) ; la définition d’objectifs, l’orientation vers le futur et le changement ; la construction d’une histoire de compétences à partir du présent et du passé.

Toutes les thérapies sont efficaces, la tcs et le modèle de Bruges ont l’intérêt d’ouvrir des choix, de donner de l’espoir, de créer un espace dans lequel le patient se connecte à ses ressources et se met au travail pour atteindre les objectifs qu’il a lui-même fixés. La thérapie est alors plus brève. Là encore c’est le processus qui compte. Parfois il n’est même pas utile pour le thérapeute de connaître le « problème ».

MFDS : Avec Nathalie Beauzée, Annie Lelevrier-Vasseur et Christian Rybak, vous avez travaillé à la réédition de votre ouvrage L’entretien infirmier en santé mentale. Quelle est son actualité aujourd’hui ?  En quoi est-il important que les infirmiers se forment à cet entretien ?

MCC : Les infirmiers sont de plus en plus en première ligne pour accueillir, prendre soin des personnes. Les études infirmières ont changé et sont devenues universitaires. L’accent est mis sur les symptômes, la pathologie. Les infirmiers sont entraînés à faire l’anamnèse, à rechercher des facteurs de risque. Cela conduit à une relation complémentaire dans laquelle le patient est en position basse, objet des soins. C’est en tous cas ce que j’ai pu constater récemment lors des dernières formations à l’entretien infirmier que j’ai animées. L’entretien en tant que soin n’est pas suffisamment valorisé, un entretien au cours duquel la personne est prise en compte dans sa globalité, dans lequel ses ressources personnelles et relationnelles sont recherchées et utilisées, ses objectifs et ses choix priorisés dans le projet de soins. Il s’agit de considérer la personne et son entourage comme de vrais partenaires. C’est le message que nous avons voulu transmettre dans la réédition de notre livre. Nous nous sommes centrés sur l’entretien d’accueil, premier temps de la rencontre de la personne en souffrance et de ses proches avec le système de soins, de la construction d’une alliance thérapeutique.

MFDS : À la rentrée, la collection « Relations » s’enrichit d’un nouvel ouvrage signé par Marc Galy : Dans le fauteuil de l’hypnose. Ce livre explore une approche plus sensorielle, non médicamenteuse. Pourquoi avoir sélectionné ce projet tout particulièrement ? En quoi un accompagnement alliant corps et esprit peut être bénéfique pour le patient ?

MCC : Les recherches en neurosciences montrent que le corps et l’esprit sont étroitement liés et interagissent de manière complexe. La santé physique a un impact sur la santé mentale et vice versa. D’où l’intérêt d’un soin comme l’hypnose qui intervient au-delà de la dualité corps/esprit. L’hypnose a toujours existé. Des peintures rupestres préhistoriques en témoignent. L’hypnose thérapeutique a connu à la fin du 18e siècle un âge d’or en France. Milton Erickson a ranimé sa pratique en développant une hypnose basée sur la coopération. Un individu n’exploite pas plus de 10 % de ses capacités. En transe hypnotique, il peut se connecter avec des ressources présentes en lui et inexploitées, sans être gêné par les cadres conscients qu’il a appris et intégrés jusque-là. Par ailleurs Erickson a eu une influence considérable sur le monde systémique. C’est pourquoi il m’a semblé intéressant d’élargir la ligne éditoriale de la collection « Relations » pour y inclure des ouvrages traitant d’hypnose. Le livre du Dr Galy montre l’intérêt de l’hypnose dans une prise en charge médicale globale. J’espère que cette publication ouvrira la porte à d’autres. 

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