Entretien avec Olivier Douville


 

 

 

Claire Schaeffer : Olivier Douville, vous êtes psychanalyste, mais aussi maître de conférences hors classe en psychologie clinique et membre d’honneur du Collège international psychanalyse et anthro­pologie. Vous publiez à la rentrée l’ou­vrage La psychanalyse dans le monde du temps de Freud. chronologie. Vous y décrivez et analysez les principales étapes de développement des théories psychanalytiques, des confrontations qui en résultèrent dans des contextes culturels, scientifiques et militants dans le monde. Comment ce livre a-t-il vu le jour ?

Olivier Douville : Trois moments importants de mon évolution professionnelle jouent un rôle dans ce livre. D’une part ma nomination en tant que maître de conférences à Rennes 2, en psychologie clinique et psychopathologie, où j’enseignais l’histoire de la psychanalyse et dirigeais des travaux sur la naissance de la psychanalyse ; d’autre part mon intérêt pour l’anthropologie ; et enfin mes voyages dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est et d’Asie, où je m’informais des conditions de réception de la psychanalyse et donc des façons dont de grands savants, pratiquant ou non la psychanalyse, ont réinterprété des données théoriques tenues pour canoniques (le complexe d’Œdipe tout particulièrement). Ces voyages, où j’étais invité comme enseignant et conférencier, m’ont mis en lien de travail et d’amitié avec des collègues soucieux d’étudier l’histoire de la psychanalyse dans leur pays. J’ai, avec eux, exploré et confronté des documents, croisé des informations. La lecture des livres d’historiens français et étrangers réputés fut un apport considérable.

Dans cet ouvrage, j’ai établi la chronologie de faits en tenant compte au plus possible des critères suivants :

- les contextes politiques et leurs incidences sur l’organisation du mouvement analytique (guerres, révolution russe, montée et installation du nazisme, mais aussi mouvements anti-coloniaux et d’émancipations) ;

- les conditions de réception de la psychanalyse, les intolérances, les résistances, les interprétations qu’elle a suscité ;

- les grands débats théoriques internes à la psychanalyse, les scissions, les mouvements de sécession, les dynamiques d’organisation institutionnelle ;

- les inventions d’institution psychanalytique de soin et la place des psychanalystes dans les services de médecine ;

- le lien entre la psychanalyse, les sciences, les arts de l’époque de Freud. J’ai tout particulièrement porté attention à la naissance des débats entre anthropologie et psychanalyse.

 

CS : Vous étudiez avec soin la diffusion de la psychanalyse du temps de la vie de Freud dans le monde. Pouvez-vous nous donnez des exemples de la manière dont certains pays, certaines cultures, ont accueilli cette pensée innovante ?

OD : Il y a des différences considérables d’un pays à un autre, comme on l’imagine aisément. D’un point de vue pragmatique, il faut souligner les différences dans l’accès aux traductions et dans leur sérieux, la Grande-Bretagne et l’Espagne étant sans doute les nations européennes hébergeant les traducteurs les plus fiables et les plus tenaces. Freud fut traduit assez tardivement en France et, s’il se montrait satisfait des traductions de M. Bonaparte qui suivirent de peu d’autres versions, nous ne partageons pas nécessairement son amical enthousiasme.

Bien évidemment, tout dépend de la façon dont la psychanalyse s’est institutionnalisée après la mise en place de l’International Psychoanalytical Association et de ses politiques d’affiliation, ainsi que les cursus de formation qui en dépendaient.

Mais comment omettre l’exil voulu des psychanalystes partis se former à Vienne auprès du Maître, ou à Budapest auprès de Ferenczi ? L’histoire de la psychanalyse est tissée de nombreux voyages.

Il y eut aussi ces exils forcés, pendant lesquels des psychanalystes juifs traqués par le nazisme durent fuir l’Allemagne et l’Autriche pour cette immense terre d’accueil que furent les usa. Comme vous le voyez, toute histoire nationale est marquée par des traversées, des exils et des accueils. Mais il faut ici appuyer sur l’importance d’une vie démocratique pour que la psychanalyse soit établie et nous pouvons mettre en évidence toutes celles et ceux qui se sont servis (avec plus ou moins de justesse théorique, là n’est pas la question) de la psychanalyse comme d’une arme de résistance à l’oppression (Bose en Inde, Neale Hurston aux États-Unis, M. Langer en Uruguay, puis en Argentine).

 

CS : Quelle portée pensez-vous que ce livre aura sur le monde psychanalytique et au-delà ? 

OD : C’est une chronologie, non un livre construit et rédigé tel que l’aurait fait un historien. Les faits sont là, disponibles ; ils étaient auparavant connus et établis pour la grande majorité d’entre eux et se voient mentionnés ici, année par année, pays après pays.

CS : Vous donnez un aperçu de l’influence de la psychanalyse sur les sciences affines dès l’époque de Freud. En quoi impacte-t-elle encore les sciences humaines et les disciplines qui l’entourent ? 

OD : L’écho de la psychanalyse semble aujourd’hui s’éteindre. Dans le champ thérapeutique, d’autres techniques ont davantage le vent en poupe. Les psychiatres se réfèrent peu à Freud ou à Lacan. Le dsm, aussi critiquable qu’il soit, règne en maître au point qu’on peut se demander si la bataille des classifications n’est pas aujourd’hui terminée. Le paysage des psychologues s’orientant vers des pratiques psychothérapeutiques est assez peu cernable. La psychanalyse reste une référence parmi d’autres. Sa pratique est diffuse et elle est sévèrement concurrencée par tout un ensemble de techniques de développement personnel et de coaching qui ne s’encombrent pas de l’hypothèse de l’inconscient.

Le recul de la psychanalyse est net à l’Université. Trop souvent, un dogmatisme des écoles psychanalytiques a pris le pas sur la nécessité pédagogique d’enseigner tous les courants principaux de la psychanalyse et de son histoire, ce qui n’aide pas à l’éveil de l’esprit critique. Tout cela a ouvert un boulevard aux adversaires de la psychanalyse. Ce tableau semble sombre et il l’est. Mais la tendance au pessimisme s’accroît à mesure que notre rapport à l’actualité de notre discipline est gouverné par la nostalgie d’une ère fantasmée comme l’âge d’or de la psychanalyse dont les anciens, pour la plupart aujourd’hui disparus, auraient été les héros.

Déclin, certes, non que les psychanalystes n’aient plus rien à proposer d’innovant. Ils le font ; les colloques nombreux et les publications presque innombrables en témoignent. Des avancées se produisent et elles sont notables dans la clinique avec l’autisme et la psychose, dans les recherches sur l’adolescence et au sein de cette sympathique nébuleuse qu’est l’« interculturel ». Enfin, de nombreux jeunes médecins ou psychologues continuent à s’intéresser à la psychanalyse, à suivre des cures.

Il nous faut reconnaître qu’à trop souvent parler de la psychanalyse ou du mouvement analytique, on oublie que ce monde des psychanalystes est profondément divisé par la façon dont il traite les bouleversements sociétaux et anthropologiques. La réputation de la psychanalyse, son parfum parfois has been, provient aussi de prises de positions hostiles de certains collègues face au mariage pour tous, aux réactions effarouchées devant les théories queers et les mouvements trans.

 

CS : Vous êtes devenu rédacteur en chef des Cahiers de l’enfance et de l’adolescence aux éditions érès. Cette revue a une longue histoire puisqu’elle s’inscrit dans la suite de La lettre du Grape que votre ami Serge Lesourd a créée et dirigée pendant plus de vingt ans en lien étroit avec les éditions érès. C’est Denise Bass, fondatrice et directrice du Grape, qui est responsable des Cahiers de l’enfance et de l’adolescence au titre de l’Atelier 2AF. Comment définiriez-vous sa ligne éditoriale ?

OD : Pour ce qu’il en est des Cahiers de l’enfance et de l’adolescence, c’est bien de l’Atelier 2AF que tout est parti et il joue toujours un rôle important dans cette revue.

Si la question du placement familial insiste à chaque numéro, il est maintenant important de continuer l’effort d’ouverture vers des problématiques plus larges telles les situations de violence sociale, les dynamiques des institutions, les techniques de soins psychiques, les impasses et les enjeux de l’adolescence.

J’ai proposé des innovations : un fonctionnement plus harmonieux et efficace du comité de lecture, l’entrée de correspondants internationaux, la mise en place d’une rubrique « Culture » où sont analysés des livres, des films, des pièces de théâtre traitant des situations d’enfance et des destins d’adolescence.

Les professionnels ont besoin de réponses claires sur les questions institutionnelles et les défis éthiques. Le style des articles doit être précis, les références indispensables à la psychanalyse et à l’anthropologie sont explicitées. Il est également important que les expériences innovantes de terrain remontent à la connaissance du public et soient publiées. 

 

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