François Balta (par Audrey Minart)


par François BALTA,
le 18 juil. 2017

    Médecin psychiatre et spécialiste de l’information systémique, François Balta
    vient de publier La complexité à la portée de tous,
ouvrage dans lequel il rappelle
    que nous sommes tous amenés à « penser complexe » au quotidien,
    sans pour autant tout maîtriser d’un sujet...
    L’occasion d’inviter ses lecteurs à ne pas s’en remettre aux spécialistes,
    eux aussi susceptibles de tomber dans le simplisme,
    pour savoir comment conduire leur vie.

    Propos recueillis par Audrey Minart.

 

 

 

Pourquoi ne pouvons-nous pas échapper à la complexité ?

Nous pouvons le faire en simplifiant tout. Mais nous sommes des êtres vivants : notre présent se situe à la fois entre un passé et un avenir… Et tout projet implique de l’incertitude. Nous sommes obligés d’arbitrer entre des logiques différentes, émotionnelles comme rationnelles. Des logiques que nous avons appris à isoler alors qu’elles sont en tension. La complexité, c’est d’abord et avant tout la contradiction de nos besoins et désirs.

Pourquoi l’être humain a-t-il donc besoin de simplicité ?

Il faut distinguer « complexe » et « compliqué », et « simple » et « simplisme ». Il est possible d’être compliqué et simpliste en même temps, par exemple en disant que tout est économique, ou que tout est politique, ou physiologique… Nous nous limitons alors à une logique, à un domaine qui devient tout à coup très compliqué… Sauf que chacun de nous n’a pas le temps de devenir spécialiste en tout ! Nous sommes confrontés, au quotidien, à tout un tas de besoins et d’informations contradictoires et devons alors nous débrouiller avec tout cela pour construire notre vie... La complexité, c’est l’affaire de chacun. Cela dit, nous sommes aujourd’hui surinformés… Quand on tape un mot dans un moteur de recherche sur Internet, on se retrouve avec des millions de références... Mais qui les lit toutes pour se faire une opinion ? Nous sommes donc obligés de simplifier. D’ailleurs, l’essentiel n’est jamais très compliqué. Il tient en quelques mots. Il ne s’agit pas pour autant de déléguer les notions complexes à des spécialistes, qui prétendent savoir mieux que nous comment conduire nos vies. Nous avons besoin de leurs éclairages, pas de leur laisser les manettes...

Finalement, les spécialistes aussi peuvent être, dans un sens, ignorants ?

Oui. Ils sont ignorants de ce qui est en dehors de leur spécialité. Et malheureusement on les sollicite trop souvent pour parler de tout.

Nous serions donc tous capables de penser complexe ?

Oui, mais nous le faisons presque honteusement, parce que nous savons que nous ne savons pas tout… En effet, nous prenons nos décisions avec une rationalité limitée puisque nous ne pourrons jamais avoir toutes les informations... D’ailleurs, nous n’en avons pas besoin ! Dans ce livre, je présente quelques principes de bases pour permettre à chacun de distinguer une pensée complexe, d’une pensée compliquée et d’une pensée réductrice ou simpliste. A savoir que les spécialistes sont réducteurs : un sociologue ne pense que par la sociologie, l’économiste par l’économie, le psychologue que par la psychologie, le psychanalyste que par l’inconscient, et chacun y va de son angle d’attaque. Mais nous sommes tous traversés par tout cela : l’économique, notre psychologie et nos inconscients, etc. Je donne donc quelques points de repères pour tenter de ne pas se laisser impressionner, voire écraser par tous ces discours qui nous renvoient le message : « C’est trop complexe pour vous ». Sauf que chacun de nous est bien obligé de se débrouiller avec ses propres contradictions : vouloir la liberté et la sécurité, le bien-être mais pas l’ennui, la régularité et le dépaysement… Nous sommes obligés de trouver à chaque fois un équilibre, et faisons donc au quotidien avec la complexité.

Vous écrivez que « toute expérience est subjective ». Ne souhaitez-vous pas ainsi réhabiliter la subjectivité, mais aussi l’émotion, pourtant souvent considérée comme obstacle à l’objectivité ?

Bien sûr. L’objectivité peut venir de plusieurs subjectivités, comme par exemple dans le travail journalistique. Bien sûr, chacun de nous a un point de vue partiel et partial, lié à ses expériences de vie… Nous ne pouvons pas ne pas être subjectifs. Cela dit, ce n’est pas parce qu’il y a subjectivité qu’aucune objectivité n’est possible... Il est toujours difficile d’établir une vérité, mais il existe tout de même des faits, des éléments, qui permettent de départager le plus ou moins vrai du totalement faux. Au final, nous pouvons créer de l’objectif à partir de la rencontre de nos différentes subjectivités à propos de faits vérifiables. Ce qui implique de se mettre autour d’une table pour que chacun puisse évoquer son point de vue, et de supporter la controverse en préservant, malgré les éventuelles contradictions, ce qui est important pour les uns et pour les autres.   

Voir aussi la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=o-0R2w2qEhY

 

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