érès formation : Entretien avec Philippe Gaberan et Xavier Bouchereau


 

Petit historique de érès éditions & formation

En 2019, constatant que les lecteurs ont de plus en plus besoin d’être accompagnés vers la lecture, nous avons décidé au sein des éditions érès de créer un département de formation autour de nos auteurs et de leurs livres. L’aide, d’un de nos auteurs phares pour l’éducation spécialisée et le secteur médico-social, Philippe Gaberan (notamment La relation éducative, érès 2003, Nouvelle éd. 2019 ; Cent mots pour être éducateur, 2007, rééd. 2018) qui, après de longues années comme formateur et directeur d’école de formation, se trouvait disponible, a été précieuse pour élaborer un premier catalogue et explorer les exigences pour l’obtention du label Qualiopi, pressenti pour succéder à Datadock, obtenu depuis quelques années pour l’organisation de journées d’études notamment avec l’association Spirale.

Le 10 et 11 mars 2020, se sont tenues dans nos locaux les deux premières journées « Soutenir la parentalité lors de l’accueil du tout petit enfant » proposées par Gérard Neyrand et Diane Khoury avec le support de Malaise dans le soutien à la parentalité (érès, 2018). Huit premiers stagiaires confirment la pertinence de notre choix. Parallèlement, sur la base du catalogue, Philippe a pu mener à bien plusieurs formations en intra au sein d’institutions du médico-social.

Puis vint le confinement et la valse des reports de formations : annulations, changements de dates, découragement de toutes parts. Avant l’accentuation des nouvelles restrictions des 30 et 31 octobre 2020, nous réussissons à tenir deux nouvelles journées « Soutenir l’enfant et les parents lors de ruptures familiales » avec nos mêmes formateurs toulousains qui se sont demandés avec humour s’ils ne nous portaient pas la poisse ! Alors qu’il nous fallait à nouveau tout annuler et/ou déplacer, et compte tenu de notre toute nouvelle expérience de la visioconférence, nous optons pour le passage exclusif à ce mode de communication à distance. Contre toute attente, le résultat a dépassé nos espérances ! Nous accueillons dans les formations de 2021 de nombreux stagiaires qui se révèlent satisfaits de nos propositions. Nous regrettons le renoncement momentané aux méthodes d’éducation active et la disparition prématurée de Diane Khoury qui en était une fervente adepte. En revanche, nous découvrons l’ouverture accrue vers des publics divers, parfois très éloignés géographiquement, mais bien présents devant leurs ordinateurs et prêts à participer…

Parallèlement, avec le soutien actif et avisé de Philippe Gaberan, nous obtenons le label Qualiopi indispensable pour poursuivre nos activités.

Bilan pédagogique et perspectives

Alors que nous venons de boucler le premier jet de notre programme de formation 2023, nous avons eu envie de partager avec nos lecteurs, le point de vue de Philippe Gaberan et de Xavier Bouchereau. Xavier, auteur de deux ouvrages importants chez érès (Les non-dits du travail social, 2012 et La posture éducative, 2017), consultant indépendant et chef de service en milieu ouvert, exerce en protection de l’enfance depuis près de vingt ans (département Loire-Atlantique). Il a accepté de prendre la suite de Philippe à la direction scientifique de notre activité de formation pour lui permettre de diminuer son activité et d’augmenter sa disponibilité pour l’écriture.

 

Marie-Françoise Dubois-Sacrispeyre : Philippe, quel bilan tires-tu de ces quatre années où tu t’es pleinement investi dans la construction de ce nouveau domaine au sein des éditions érès ? Comment as-tu articulé notre souhait de mieux diffuser le contenu de nos livres avec les exigences de la formation continue ? Qu’est-ce qui t’a paru intéressant ? difficile ?

 

Philippe Gaberan : Lorsque tu m’as invité à collaborer à ce projet de développement d’un département de formation au sein des éditions érès, nous nous sommes, toi et moi, assez vite rejoins sur la nécessité de rapprocher les auteurs d’érès des acteurs de terrain et donc de rapprocher les connaissances des compétences. Tout en sachant fort bien, dès le départ, qu’il ne suffit pas de mettre les apprenants en contact avec les connaissances pour que ceux-ci puissent les incorporer à leurs pratiques. C’est là où, à mon sens, tu parles fort justement d’accompagnement à la lecture. Et au fond cet objectif et cette préoccupation d’érès faisaient écho à une question qui me travaillait depuis longtemps, à savoir la compréhension et la mise en mouvement de cette logique, à la fois commune à tous et propre à chacun, par laquelle un apprenant (futur professionnel) s’approprie des savoirs rendus disponibles afin de construire sa propre posture professionnelle. Dès lors, la principale difficulté dans la mise en place de ce département de formation résidait, me semble-t-il, dans la nécessité de sensibiliser les auteurs (qui ne sont pas tous formateurs) à inventer et à créer un environnement formatif propice à cette rencontre entre eux et les participants, entre les connaissances développées et les compétences à acquérir. Sur ce plan, je crois que tous les intervenants d’érès ont su faire preuve de réactivité et de créativité. Preuve en est, l’appétence et le plaisir témoignés par les participants à rencontrer les auteurs et à cheminer en leur compagnie jusqu’à l’essentiel de leurs travaux et ouvrages.

 

MFDS : Tu as conduit nombre de formations en intra et en présentiel, mais aussi notamment avec Xavier Bouchereau et Yves Jeanne en distanciel et même « en mixte ». Il me semble d’ailleurs que c’est à cette occasion que Xavier et toi vous êtes rencontrés ? Comment avez-vous pensé que vous pouviez développer ensemble et avec nous cette activité de formation ? Les professionnels du secteur médico-social et de la protection de l’enfance, de l’accueil des jeunes enfants, des personnes en situation de handicap et/ou vieillissantes… ont été mis à mal par ces années de pandémie. Qu’est-ce qui vous paraît important de soutenir ?

 

PG : Je crois que la singularité et la particularité de ce trio singulier formé par Yves Jeanne (maître de conférences honoraire à l’université Lyon 2), Xavier Bouchereau (chef de service en Protection de l’enfance) et moi-même (activité de conseil et de soutien aux équipes) tient au fait que nous sommes tous les trois des acteurs de proximité ayant pu et su théoriser leur pratique par le biais de formations universitaires et de publications d’ouvrages. Pour moi, le côté passionnant de l’aventure menée au sein de érès formation tient au fait que nous avons tordu le cou à cette « vérité » portée par un discours dominant, selon laquelle il n’y aurait pas besoin de connaître un métier pour savoir et pouvoir le transmettre. Nous avons, je le crois, réenchanté la méthode du compagnonnage dans la formation aux métiers de l’éducation spécialisée et du travail social… et c’est là un véritable ballon d’oxygène pour les professionnels dans un contexte où la pandémie n’a fait que rendre plus visible et plus insupportable une perte de sens à l’œuvre depuis plusieurs décennies.

Xavier Bouchereau : Je dois tout d’abord dire le plaisir qui a été le mien de partager ces temps de formation avec Philippe. J’ai toujours pensé que le travail était d’abord riche de ses rencontres, et c’est une très belle rencontre qui m’a été offerte. Concernant ces deux dernières années, je crois que le travail social, comme tous les métiers de l’humain, a particulièrement souffert de la pandémie et cela va laisser des traces. Les minimiser serait prendre le risque de perdre une partie des professionnels. D’où l’importance de penser la pratique, de se réapproprier le métier, de partager ses expériences avec d’autres. D’où la nécessité aussi de fonder le sens de la posture professionnelle à partir d’une analyse rigoureuse, résolument ancrée au terrain. C’est tout l’enjeu du compagnonnage dont parle Philippe. Le travail social, s’apprend autant qu’il s’éprouve, tout au long d’une carrière. Sous l’impulsion de Philippe, toute l’équipe érès et ses auteurs ont su proposer des formations aussi originales dans le fond que dans la forme, et ces espaces de pensée sont précieux en ces temps de profonde mutation du travail social.

 

MFDS : Avec les restrictions sanitaires, les outils technologiques nous ont permis de maintenir des formations en privilégiant la communication à distance. Quels ont été les enseignements de ces types d’intervention ? Comment avez-vous vécu l’un et l’autre ces journées entières derrière l’ordinateur face à des stagiaires matérialisés dans des carrés avec ou sans caméra activée ? Peut-être à l’avenir pourrions-nous expérimenter d’autres possibilités offertes par l’outil Zoom, comme la constitution de petits groupes de réflexion qui permettraient aux participants de se rencontrer, même par écran interposé, et d’échanger directement ? Nous avons constaté que le Chat avait un peu cette utilité…

 

PG : Je crois que je ne ferai pas offense à Yves Jeanne si je dis que, après l’avoir convaincu dans l’urgence de surmonter ses réticences à l’égard du recours aux technologies d’internet dans le cadre des formations, nous avons pu, lui en distanciel et moi en présentiel, expérimenter une forme originale de co-animation de sessions de formation et mesurer, au final, la grande satisfaction du commanditaire et des participants. Alors tu as raison, l’outil offre un bel éventail de supports et ressources pédagogiques qu’il va falloir, bien entendu, apprivoiser et apprendre à maîtriser. Cela viendra avec l’expérience. Par ailleurs, il a révélé la nécessité de mobiliser toute une équipe technique en sus des intervenants et animateurs des sessions de formation. Et sur ce plan, les salariés d’érès ont fait preuve d’une grande réactivité et d’une belle ingéniosité. Au regard de tous ces acquis, nous devons penser, pour les années prochaines, une offre de formation sachant tirer le meilleur parti du distanciel tout en conservant les sessions en présentiel. Car, pour ma part et bien que confiant en l’apport des technologies, je crois qu’une complète dématérialisation de la formation conduirait à des impasses à la fois cognitives, psychiques et affectives.

XB : Personnellement, je dois dire ma réticence initiale devant l’outil informatique et la formation en distanciel. Je trouve qu’il y a quelque chose de contre-intuitif pour un secteur dont la relation, la proximité sont dans l’adn. Pourtant, les circonstances imposant leurs contraintes, j’ai découvert une autre manière d’organiser les formations, avec cette possibilité nouvelle de s’adresser en même temps à des professionnels venus de tout le territoire français et même au-delà. Ça ouvre la voie vers des échanges inédits. Ça nous a aussi obligé à repenser les supports pédagogiques, à nous adapter. Heureusement, nous avons été parfaitement soutenus et accompagnés par toute l’équipe érès, toujours disponible pour nous faciliter le travail et nous améliorer.

 

MFDS : Le catalogue 2023 s’est beaucoup enrichi avec le regard de Xavier et l’arrivée dans notre équipe d’Amandine Dubois qui nous fait bénéficier de ses compétences pédagogiques. Quelles ont été les grandes lignes de son élaboration ?

 

PG : Xavier et Amandine incarnent la nouvelle génération et, ayant décidé de prendre un peu de recul avec la formation pour me consacrer à d’autres activités, je suis heureux de leur passer le relais. Je te remercie d’ailleurs pour la compréhension et l’intelligence avec laquelle ce passage s’effectue. Avant de clore cet entretien, j’aimerais juste aborder un enjeu d’avenir crucial pour la formation en général, et pour érès formation en particulier. La loi de septembre 2018, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui, comme toute loi n’est ni totalement bonne ni parfaitement mauvaise, place France compétences en situation de toute-puissance en matière d’orientations politiques et stratégiques, de labellisation et donc de financement des dispositifs de formation. Preuve en est, la délibération adoptée le 30 juin 2022 par cet organisme concernant les financements des dispositifs de formation (en moyenne 34 % de financement en moins pour la formation d’aide-soignant, par exemple) qui ligue contre elle la quasi-totalité des organismes de formation. Cette délibération et, plus globalement cette manière de faire, montre combien ce pays a perdu les réflexes de concertation et de négociation avant toute prise de décision politique. Il y a là un combat à mener par la nouvelle génération.

XB : Avec Amandine, nous avons repris le dernier catalogue qui a été complété par de nouvelles formations, avec toujours la volonté de rester attentifs aux questionnements des professionnels pour les accompagner au mieux. Le nouveau catalogue propose cinq grands domaines de compétences : penser les pratiques au quotidien, mieux comprendre le public, valoriser les pratiques collectives, travailler en protection de l’enfance et prendre soin des mots et des corps. 

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